S26 Bulletin  
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Mais pourquoi donc est-ce qu'ils continuent ? Quelle est la réalité derrière l'idéologie officielle ?

Depuis que les premiers conquistadores et colons ont débarqué, mousquet dans une main et pacotille dans l'autre, leurs entreprises de pillage et asservissement ont toujours été menées au nom du bien-être des victimes. Aujourd'hui, les slogans du développement et de la démocratie ont remplacé ceux de la civilisation occidentale et de la vraie foi. Le FMI a remplacé l'administration coloniale, la Banque Mondiale les missionnaires, les transnationales les Compagnies des Indes. Enfin, les buts " humanitaires " (ou contre le narcotrafic) des puissances de l'OTAN masquent les objectifs impériaux des interventions militaires.

CHRONOLOGIE DES LUTTES CONTRE
LES PROGRAMMES D'AJUSTEMENT
STRUCTUREL (PAS)

La Banque mondiale (Bm) et le Fonds Monétaire International (FMI) ont imposé à de multiples pays les Programmes d'Ajustement Structurel (PAS). Dans ce cadre, ils accordent d'importants prêts aux Etats, mais avec les conditions suivantes: réduction des subsides alimentaires, d'éducation et de santé; privatisation ou élimination des entreprises nationales; libéralisation du commerce (fin des tarifs protectionnistes); abandon des restrictions sur la propriété étrangère du capital et de la terre; dévaluation de la monnaie locale; développement des exportations; restructuration du système légal afin de reconnaître les droits de "propriété intellectuelle" des entreprises étrangères, etc.

Les exemples suivants sont un mince échantillon des multiples résistances (manifestations, émeutes, insurrections) que ces PAS ont rencontrées sur tous les continents dès les années '80, tiré d'une chronologie de 65 luttes établie par George Caffentzis. La liste pourrait être indéfiniment allongée dans la mesure où la politique économique d'une centaine de pays du Sud et de l'Est est à présent dictée (souvent dans le détail) par ce nouveau pouvoir colonial. Ainsi, des milliers de luttes de ces parties du monde sont directement ou indirectement en opposition aux politiques du FMI/Bm.

1985

Bolivie: grève générale convoquée par les syndicats de travailleurs et de paysans qui s'élèvent contre la hausse des prix (alimentation et essence), suite au premier prêt d'ajustement structurel accordé par la BM en 1980.

Jamaïque: manifestations contre la hausse du prix de l'essence imposée par la Bm dans le cadre du PAS de 1982.

Zaire: morts dans des manifestations contre " l'ajustement " dans l'éducation.

1986

Nigeria: alors qu'ils protestent contre l'introduction d'un PAS, une vingtaine d'étudiants sont massacrés par les forces de sécurité.

1987

Zambie: des émeutes dans un district du nord forcent le président Kaunda à suspendre le PAS défini par le FMI.

Sierra Léone: deux universités et un collège sont fermés suite à une grève déclenchée par des étudiants demandant l'indexation de leur subsides alimentaires (les étudiants africains ne peuvent généralement se payer qu'un repas par jour). Le gouvernement leur explique qu'il a été obligé de réduire les dépenses publiques à cause du PAS et que leur éducation est un privilège plutôt qu'un droit. Des émeutes éclatent dans trois villes.

1988

Ghana: les étudiants protestent contre la réduction de leurs allocations. Le gouvernement a effectivement passé un accord avec la Bm qui prévoit le démantèlement progressif de l'éducation supérieure gratuite.

Algérie: 200 personnes sont assassinées lors d'émeutes contre la hausse des prix et le chômage provoquée par le PAS imposé par le président Benjedid.

Berlin: 20 000 manifestants contre l'Assemblée du FMI/BM.

1989

Benin: 600 personnes sont tuées et 1000 autres blessées lors d'émeutes contre les mesures économiques prises afin de satisfaire la BM et le FMI.

Jordanie: le gouvernement annonce la hausse des prix de l'essence et des appels téléphoniques de longue distance comme conséquence du PAS signé la même année. Pendant les manifestations qui s'ensuivent, 5 personnes seront assassinées.

Venezuela : 600 morts et 1000 blessés lors d'émeutes contre le PAS imposé par le FMI.

1990

Trinidad: la Société des Musulmans pénètre dans le siège du gouvernement et prend en otage le président Robinson ainsi que d'autres membres de son cabinet. Elle demande la fin des mesures d'austérité économique imposées par le FMI.

Maroc: 33 personnes sont tuées au cours de deux jours d'émeutes à Fez. Parmi les demandes des manifestants figurent l'augmentation du salaire minimum ainsi que l'arrêt des mesures d'ajustement structurel mises en oeuvre depuis 1983.

1991

Nigeria: l'Association Nationale des Etudiants Nigériens lance un ultimatum au gouvernement en ce qui concerne la résolution de la crise économique nationale. 13 étudiants sont arrêtés, accusés de dommages a la propriété, d'émeutes, etc. Les étudiants du Collège de Yaba (Lagos) les soutiennent et sont exclus de leur école par le recteur. Lors des manifestations qui s'en suivent, plusieurs étudiants sont emprisonnés et torturés.

1992

Venezuela: échec du coup d'Etat tenté par un groupe de militaires, largement soutenu par la population. Le but économique des putschistes était l'annulation du PAS. (Leur leader, Chavez, a été élu président depuis.)

1993

Russie: Quand le parlement refuse d'entériner le PAS, Eltsine le fait bombarder avec des chars ! Lors des élections qui suivent, les partis opposés aux programme d'ajustement structurel obtiennent la majorité. Ceci conduit à une crise du gouvernement de Eltsine.

1994

Mexique: insurrection de l'Armée Zapatiste de Libération Nationale qui s'élève contre les politiques d'ajustement structurel du gouvernement.

Gabon: les étudiants de l'Université Omar Bongo font grève et leur institution est fermée. Ils demandent la hausse de leurs subventions pour compenser la dévaluation monétaire. Cependant, le gouvernement refuse, en argumentant que la réduction des subventions fait partie d'un paquet négocié avec le FMI.

1995

Corée du Sud: le président Kim Young Sam avertit que la grève planifiée par les travailleurs de la compagnie nationale des téléphones sera considérée comme une tentative de renversement du gouvernement.

1996

Thaïlande: des centaines de paysans déplacés campent face au siège du gouvernement en demandant des compensations.

1997

Corée du Sud: le principal syndicat du pays appelle à la plus grande grève de l'histoire de la nation afin de protester contre la nouvelle loi du travail.

Allemagne: les plus importantes manifestations d'étudiants depuis 1968 ont lieu face à la réduction des budgets de l'éducation

1998

Zimbabwe: la police utilise des gaz lacrymogènes pour disperser 2500 étudiants qui bloquent les autoroutes en demandant l'augmentation des bourses. D'autres manifestations ont lieu à Bulawayo alors que le gouvernement de Mugabe se confronte à la pire crise économique depuis l'indépendance.

1999

Roumanie: des travailleurs des mines sont tués par la police au cours de protestations contre le PAS qui planifie la fermeture des mines.

Mexique: début d'une grève de plus d'une année au sein de l'université la plus grande des Amériques: UNAM, contre les politiques d'ajustement structurel qui augmentent les taxes d'inscription.

2000

Ecuador: L'application des directives du FMI provoque un désastre financier et une série de soulèvements populaires. En janvier, des centaines de milliers de paysans et indigènes envahissent la capitale et prennent pacifiquement le pouvoir pendant quelques heures.

Bolivie: la privatisation de l'eau de la ville de Cochabamba, préconisée par la Bm, rend son prix prohibitif. Une coalition de citadins et paysans paralyse la ville, tient tête à l'armée malgré plusieurs assassinats et chasse finalement la transnationale Baechtel du pays.

Chine: émeutes contre la fermeture des mines

Afrique du Sud: la fédération des syndicats commence une grève en protestant contre le haut niveau de chômage et le PAS imposé par le gouvernement de l'ANC.

Indonésie: L'économie de ce pays (comme dans la majeure partie du Sud-Est asiatique) a été disloquée par le " libre " échange et la spéculation financière, puis accaparée par les transnationales grâce aux " remèdes " du FMI. Des troubles sociaux font des milliers de morts dans divers îles.

Environnement

Pour augmenter les recettes d'exportation du Cameroun, le FMI a préconisé la libéralisation du commerce du bois et la dévaluation de la monnaie. Entre 1994 et 1995, le nombre d'entreprises d'exploitation forestière présentes au Cameroun est passé de 194 à 351, les exportations de bois ont augmenté de 49,6% entre 1995/96 et 1996/97. La forêt dense humide camerounaise est menacée de disparition dans les dix prochaines années et avec elle plusieurs centaines d'espèces de plantes et d'animaux.

La Banque mondiale est la plus importante source de fonds pour la construction des gros barrages (50 milliards de dollars pour construire plus de 500 dans 92 pays.) Elle a directement financé quatre des cinq plus gros barrages, trois des plus gros réservoirs et trois des cinq plus grosses centrales hydro-électriques en Dehors de la Chine.

Depuis 1948, les barrages financés par la Bm ont déplacé environ de 10 millions de personnes. Le rapport de 1994 sur la réimplantation et le développement reconnaît que la majorité des familles déplacées par des projets financés par la Banque mondiale n'ont jamais retrouvé leur niveau de revenu et n'ont jamais profité directement de ces barrages.

La " clôture " des terres du Sud

La différence est que l'emprise - et les dégâts - du capitalisme sont bien plus pénétrants, plus totaux aujourd'hui, au Sud comme au Nord. La majorité des paysans et indigènes du Sud n'avaient été qu'indirectement affectée par l'exploitation coloniale. Malgré les massacres, la traite des esclaves, les plantations, la dislocation et l'appauvrissement de leurs économies, etc., les cultures et les modes de vie traditionnels subsistaient en grande partie. Depuis bientôt vingt ans, FMI et BM utilisent le levier de la Dette et la massue des " projets de développement " pour obliger des centaines de millions de personnes à abandonner les terres, les forêts et les cours d'eau desquels ils tiraient leurs moyens de subsistance avec un minimum de dépendance au monde marchand capitaliste.

Cet énorme coup de force rappelle celui, fondateur du capitalisme, des lois sur les " clôtures " du 18 e siècle. Celles-ci ont privatisé les " communs " (terres collectives traditionnelles) de Grande Bretagne, livrant un prolétariat désormais sans moyens de production aux bras accueillants des premiers capitalistes. Aujourd'hui, des lois semblables visent l'élimination de la propriété commune de la terre en Afrique ainsi qu'en Amérique Latine (d'où entre autres la révolte Zapatiste). Par ailleurs, les petits paysans du monde entier sont expulsés par le simple fait d'être directement exposés à la concurrence de l'agro-business multinational. Les pêcheurs du monde entier voient les réserves côtières éclusées par des bateaux usines, les cours d'eau ruinés par des mega-barrages. Les indigènes des forêts sont chassés par la déforestation, par les exploitations pétrolières et minières, voire par les projets de " protection de la nature ", ou d'écotourisme. Leurs cultures et savoirs traditionnels sont détruits - ou volés par l'industrie de la bio-tech.

Et on s'étonne et on s'inquiète des immenses déplacements de populations qu'entraîne cette nouvelle étape du capitalisme! Bientôt la majorité des populations du Sud seront campées dans les immenses bidonvilles qui entourent chaque métropole, une proie facile pour les industriels des " zones franches " (de droits), pour les trafiquants de main d'oeuvre, de drogue, de l'industrie du sexe, d' enfants ou d'organes.

Débridé, le capital finit cannibale. Les migrations intercontinentales - malgré les nouveaux rideaux de fer à l'Est de l'Europe ou au sud des Etats-Unis, malgré les noyades quotidiennes au large de Gibraltar - se font toujours plus massives. Ces déracinements affectent en premier lieu les femmes, qu'elles soient seules dans les campagnes à maintenir leur famille, embauchées dans les " maquillas " des zones franches ou émigrées comme ouvrières, domestiques au noir ou prostituées.

Le capital est content. Il dispose ainsi d'un immense réservoir de main d'oeuvre au Sud et d'une masse de travailleuses et travailleurs immigrés qui font pression sur les salaires. " L'armée industrielle de réserve " a été depuis le début l'arme majeure du capital contre le travail. Il suffit de quelques " maquillas " au Sud, de quelques fuites de capitaux (par exemple, l'Italie en '77, la France en '81, la Grande Bretagne sous Wilson) pour calmer beaucoup de luttes et pour transformer des champions socialistes en "réalistes". Les travailleurs/euses du Nord font dès lors l'objet d'un double chantage: délocalisation et immigration de main d'oeuvre bon marché. Les efforts pour limiter celle-ci ne font qu'empirer le problème puisqu'elle se transforme alors en main d'oeuvre clandestine, sans droits, donc moins cher et plus difficile d'organiser.

Le travail est ainsi parqué ou embarqué comme du bétail au gré des intérêts des employeurs, alors que le " libre " échange des marchandises, la mobilité absolue des capitaux et des prix de transport sans rapport avec son coût réel facilitent une réorganisation permanente de la production pour contrer les luttes populaires. Avec ses passeports et ses visas, cette nouvelle division internationale du travail reproduit quantitativement et qualitativement l'apartheid - mais à l'échelle mondiale. Masses reléguées dans des " patries " appauvries et forteresses riches et blanches pourvues de ghettos de sans droits. Aujourd'hui, la servante clandestine se banalise aussi à Genève.

Les nouvelles " clôtures " - Vers la marchandisation totale?

A ces expulsions et déplacements massifs s'ajoutent des "clôtures" nouvelles. Car il ne suffit pas au capital de renverser le rapport de force avec le travail. Soit, les salaires baissent, mais cela crée un nouveau problème: qui va donc acheter la production si les travailleurs ne peuvent plus consommer autant? Et si la production stagne, où va-t-on investir les milliards de milliards qui s'amassent?

Toujours à la recherche de nouveaux champs d'investissement pour les énormes capitaux accumulés, et alors que la réduction des salaires déprime la demande des productions traditionnelles, les transnationales cherchent à s'approprier, à marchandiser de nouveaux domaines, qui relevaient jusqu'ici des services publics, des activités non-monétaires ou des richesses communes gratuites : les communications, l'éducation, la santé, les semences, l'eau, les connaissances traditionnelles, la reproduction humaine (du travail ménager à la conception artifi cielle en passant par la culture, les loisirs et le sexe) et les prin cipes de la vie elle-même. Ces nouveaux domaines ont généralement aussi l'avantage de porter sur des produits de consommation obligée, dont personne ne peut se passer. Leur monopole implique donc des bénéfices garantis et un pouvoir absolu. (Une publication interne de Monsanto, géant de l'agro-business, explique candidement que " puisque l'eau est aussi essentielle à la vie que les semences, Monsanto se doit de le contrôler ". Premières victimes visées : le Mexique et l'Inde.)

Mais le capital est aussi inquiet, car les luttes circulent et communiquent, entre ces millions de " wetbacks " et va-nus-pieds. Ce n'est pas un hasard si la majorité des personnes arrêtée lors des émeutes de Los Angeles provenait des terres dévastées d'Amérique Centrale. La centralisation du pouvoir et de la planification capitaliste à travers des institutions telles que le FMI, la Bm et l'OMC permet aussi une unification des résistances.

Des cycles de luttes internationales spontanées se sont répandus dans le monde pour s'opposer à la politique du FMI/ BM. De 1985 jusqu'à la Guerre du Golfe, les luttes se sont centrées sur les travailleurs du pétrole au Venezuela, au Nigéria, en Algérie, en Zambie, etc. Dans les années 1990, Page 4


 
Une pause dans une usine de textile en Asie du Sud Ouest..

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