Le G8 mettra Evian sous bulle.
Surveillance aérienne, restrictions routières et lacustres... La ville française et La Côte vaudoise seront en état de siège pour assurer, en juin, la protection du sommet des huit pays les plus industrialisés.
Le G8 : le prochain sommet des chefs des sept pays les plus industrialisés et de la Russie se tiendra à Evian-les-Bains du 1er au 3 juin. Une telle entreprise ne va pas sans la mise en place d'un système sécuritaire hors du commun. Surtout après les violences qui ont marqué le sommet de Gênes du 20 au 22 juillet 2001. Les sensibilités sont toujours exacerbées après les attentats du 11 septembre. On comprend, dès lors, que tout devra être mis en oeuvre pour assurer une sécurité optimale. Cela passera par de sévères restrictions aériennes, routières et lacustres.
« Nous étudions tout un train de mesures encore à définir », explique Pierre Aepli, responsable de cette organisation. Certaines routes - voire même l'autoroute Lausanne-Genève - seront soumises à des restrictions d'utilisation pour le quidam. « Ce sont là des dispositions incontournables permettant le transfert jusqu'à Evian des délégations officielles logeant en Suisse, dans les meilleures conditions de sécurité possible. Mais cela ne signifie pas que l'autoroute sera totalement fermée. Il faut cependant s'attendre à des mesures allant partiellement dans ce sens », explique Pierre Aepli. Au rang des pures hypothèses, cela pourrait se traduire, par exemple, par la fermeture temporaire d'une des deux voies de l'autoroute. Mais rien n'est encore décidé!
Zones interdites de navigation
Même fermeté sur le Léman, où des zones seront interdites à la navigation. Là encore, les secteurs et le type de restrictions appliquées sont en cours d'élaboration. Les aérodromes de Lausanne et de Prangins seront aussi soumis à des restrictions. En revanche, la base REGA-Lausanne disposera de forces d'intervention supplémentaires pendant le G8. Avec la mise à disposition d'un deuxième hélicoptère EC-145 et de son équipage.
Clé de voûte du système: une bulle aérienne centrée sur Evian, soumise à des restrictions ou interdictions de vol très strictes. « Son diamètre reste lui aussi à définir, commente Pierre Aepli. Là encore, rien n'est arrêté! » Des F/A-18 suisses et des chasseurs français, probablement des Mirage 2000, surveilleront cet espace. Leurs pilotes pourraient, après les sommations d'usage, être amenés à abattre un intrus menaçant, qui tenterait de forcer cet espace protégé. Qui donnera l'autorisation de faire feu? Confronté au même problème pour le Forum de Davos, le Conseil fédéral répondra aujourd'hui même à cette question. Et, bien que le G8 ait lieu sur sol français, il est vraisemblable que les autorités appliqueront à Evian les mêmes dispositions qu'à Davos.
La maîtrise et la surveillance de cette bulle aérienne figurent évidemment au coeur du problème. Car c'est de là que pourrait venir la menace la plus difficile à gérer. D'où la mise en place de gros moyens, confiés aux bons soins des forces aériennes suisses et françaises. Pour l'heure, du côté helvétique, c'est « no comment ». Cependant, de source confidentielle et bien informée, on apprend qu'une batterie de radars destinée à renforcer la surveil-lance de l'espace aérien pourrait être installée sur les hauteurs de Saint-Cergue, vraisemblablement à La Dôle.
La gestion des vols civils à destination de Cointrin figure au nombre des difficultés majeures. Pour les avions, l'approche standard de la piste 23 (côté Lausanne) passe précisément sur le lac, en plein centre de la bulle aérienne (voir infographie). Que se passera-t-il? Tant du côté de Skyguide, chargé du contrôle aérien, que de celui de la direction de l'aéroport de Genève, la réponse est claire: « Tout est confidentiel... On ne peut rien dire! Mais une chose est sûre, commente néanmoins Patrick Herr, porte-parole de Skyguide, des plans sont en cours d'élaboration et les approches devront être modifiées. » Le sens d'utilisation d'une piste est en effet déterminé par la force et la direction du vent. Impossible donc de décider tout bonnement que tous les atterrissages et départs auront lieu, pendant le G8, depuis ou vers le sud-ouest. Ainsi, par fort vent de ce secteur, l'approche ne peut avoir lieu que depuis l'est, soit au-dessus du Léman. Cette procédure devra donc momentanément être adaptée pour permettre une approche décalée au nord de cette zone interdite.
Philippe Roy, porte-parole de l'Aéroport international de Genève, conclut: « Nous savons qu'il y aura une bulle d'exclusion et que nous devrons nous conformer à certaines contraintes. Mais nous avons aussi fait savoir que nous entendons maintenir l'aéroport opérationnel pendant le G8. »
XAVIER DORMOND
Une cellule de conduite intercantonale
POLICES
Les responsables cantonaux analysent actuellement les scénarios et étudient les demandes sécuritaires de nos voisins.
Alors que les préparatifs pour la sécurité n'en sont qu'au stade des scénarios et des tables rondes, les propos de Pierre Aepli ont provoqué la frénésie dans les médias et les états-majors. A la police cantonale vaudoise, les responsables tenaient d'ailleurs hier une séance sur le sujet. Mais aucune décision n'a pour l'instant été prise quant aux mesures ou stratégies possibles.
Une structure intercantonale a été mise sur pied, avec la présence des représentants de la Confédération et de la France. Cette cellule spéciale étudie les demandes sécuritaires faites par nos voisins et les conséquences prévisibles du sommet des puissants pour la Suisse. « Nous en sommes à la phase d'analyse des risques et des propositions. Tous n'ont pas encore été évalués et il n'y a pas de décision, ni de variante privilégiée à ce stade », indique le porte-parole des forces de l'ordre vaudoises.
Qui fait quoi?
Régler les différentes compétences entre les polices genevoise et vaudoise s'avérerait difficile. C'est du moins ce qu'écrivait L'Hebdo dans son édition du 10 janvier. Selon le magazine, deux directions auraient été créées - l'une stratégique chapeautée par Vaud, l'autre opérationnelle dirigée par Genève - afin de ne pas froisser les susceptibilités de l'un ou l'autre des cantons. Une information fermement démentie par le chef d'état-major de la police genevoise, Raphaël Rebord: « Tous les partenaires sont très motivés, il n'y a aucun problème de susceptibilité et ceux qui affirment le contraire inventent. »
Quoi qu'il en soit, le canton de Genève devrait jouer un rôle de leader. Au niveau aérien et des frontières, la direction relèvera, bien sûr, de la Confédération. Quant à l'accès au lac, ainsi qu'à l'autoroute, la question ne semble pas encore réglée. La sécurité dépend aussi des montants budgétaires qui lui seront alloués. Et, actuellement, ceux-ci ne sont pas fixés.
P. Co
Quel accueil du côté suisse?
HÉBERGEMENT
Si à Lausanne l'incertitude règne encore, les hôtels genevois ont déjà commencé à enregistrer des réservations.
Les visiteurs potentiels amenés par le G8 à Lausanne trouveront-ils où dormir?
« Nous n'avons pas encore assez de renseignements pour mettre en place une stratégie d'accueil, prévient Claude Petitpierre, directeur de Lausanne Tourisme. Néanmoins, nous avons demandé les disponibilités des hôtels et prévu un contingent de six cents cham-bres pour l'ensemble de Lausanne », précise-t-il. Une fois la situation éclaircie, Lausanne Tourisme pourrait faire des propositions axées sur la découverte de la région lausannoise.
Pour les hôtels genevois, en revanche, les retombées économiques occasionnées par le G8 d'Evian s'annoncent d'ores et déjà intéressantes. « 60% de nos 122 chambres sont à ce jour réservées pour la durée du sommet, se réjouit la directrice commerciale de l'Hôtel des Bergues, Alexandra Bernard. D'ici à juin, nous serons probablement complet. » Les dirigeants du Hilton - plus grand établissement de Suisse avec ses 410 chambres - ne sont pas moins optimistes. Une délégation comptant 150 mem-bres a déjà passé commande. « Et ça ne fait que commencer, annonce le directeur Eric Kuhne. J'imagine qu'en juin, on fera le plein. »
Chambres blindées
Les chefs d'Etat présents à Evian ne logeront sans doute pas dans des hôtels. Mais les établissements comptent sur l'appui de la police pour assurer la sécurité des délégations. Des rencontres entre autorités cantonales et hôteliers auront lieu pour définir les modalités de cette collaboration.
Chaque établissement dispose cependant d'un système interne de surveillance; lequel sera complété par des entreprises privées de surveillance pendant la durée du sommet. « Nous avons l'habitude de collaborer avec certaines sociétés lors d'événements particuliers, confie Eric Kuhne. Nous les contactons notamment chaque année pendant les Fêtes de Genève. » Enfin, certains hôtels disposent de suites blindées. C'est le cas de l'Hôtel des Bergues, où vitres et portes sont renforcées sur la moitié d'un étage.
K. G. et Ch. M.
