Aux Philippines, les protestations auraient pu empécher l'adhésion aux accords de l'OMC

Les Philippines sont l'un des rares pays où la ratification de l'accord du cycle de l'Uruguay n'est pas passée inaperçue. En effet, les paysans avaient obtenu, après de longues luttes, des droits qui garantissaient à des millions de petits paysans et agriculteurs un revenu et un principe (la "sécurité alimentaire", selon le jargon politique). Ces droits étaient assurés, entre autres, par une protection permettant de limiter les importations étrangères à bas prix. Cette mesure empêchait que les prix de ces produits ne tombent plus bas que les coûts de production des agriculteurs philippins.

Avertis par des ONGs internationales des négociations de l'Uruguay Round -et non pas par leur propre gouvernement...- les organisations paysannes ont pressenti que les fruits de leurs luttes antérieures étaient en péril. Si le gouvernement ouvrait les portes du pays aux importations bon marché du maïs des Etats-Unis et du riz d'Asie, les petits paysans verraient s'écrouler leurs sources de revenu. Les organisations paysannes ont donc mobilisé leurs membres partout dans le pays. Elles ont formé des comités régionaux et dans les villages pour informer les paysans, demander des explications aux politiciens et étudier les enjeux des accords de l'Uruguay Round.

Par exemple, l'Assemblée générale de l'organisation nationale des femmes (Amihan) a fait venir les négociateurs pour obtenir des explications. Ces femmes ont exprimé leur indignation face au manque de transparence de la part des autorités. Celles-ci ont d'ailleurs dû s'en excuser. Les débats publics se sont ensuite enchaînés, à travers les médias et la télévision.

Ce mouvement a forcé les parlementaires à tenir des débats publics régionaux au cours desquels les paysans ont pu exprimer leur opposition et diffuser leurs informations sur les études faites sur l'accord en question et qui en démontraient les dangers. A part quelques autres pays comme l'Inde, il n'y a eu nulle part des recherches et des débats politiques nationaux aussi nourris.

Avant la ratification de l'accord par le parlement, il y a eu des journées de débats durant lesquelles les organisations civiles ont pu répondre aux arguments du gouvernement sur les prétendus bénéfices de cet accord de libéralisation qui, en dehors de l'agriculture, concernait bien d'autres domaines -dont la protection de la propriété intellectuelle et les brevets sur le vivant (voir en page 5). Bien qu'un nombre non négligeable de parlementaires ait exprimé leurs inquiétudes ou leur désaccord, un chantage politique a permis de passer à la ratification.

Les conséquences se sont bientôt fait sentir. Le gouvernement a appliqué rapidement les mesures d'ouverture aux importations agricoles -alors que les pays en voie de développement ont pourtant cinq ans pour mettre en œuvre l'accord de l'OMC sur l'agriculture. Sa seule préoccupation était de se montrer "bon élève" de la libéralisation, et non pas le bien être de leur population.

Résultat: les paysans se sont retrouvés confrontés sur le marché à des importations à prix cassés. En effet, le maïs américain pouvait arriver à bas prix, grâce aux subsides versés directement aux producteurs et à l'exportation, alors que les appuis financiers du Gouvernement philippin aux agriculteurs étaient bien moindres -pour ne pas dire inexistants.

Ce procédé de concurrence déloyale est rendu possible par l'accord sur l'agriculture, désormais intégré à l'OMC! Afin de pouvoir faire face à la concurrence internationale rendue de plus en plus aiguë par ces accords, le gouvernement a limité les terres consacrées à la production alimentaire nationale, ce qui a favorisé les grands propriétaires fonciers.

Le plus incroyable, c'est que les négociateurs philippins se sont trompés d'un zéro de trop dans le tonnage de viande de porc autorisé à l'importation. Ce qui a mis en difficulté tous les producteurs philippins de cette viande. Une crise de production du riz a ensuite démontré qui étaient les uniques gagnants de cet accord: un très petit nombre d'importateurs ont pu s'enrichir aux dépens des petits agriculteurs. Aujourd'hui, la lutte des organisations paysannes continue.

Un des effets de l'OMC est aussi apparu rapidement avec l'augmentation des prix des livres pour les étudiants. Les droits d'auteurs, en accord avec les règles de l'OMC sur la propriété intellectuelle, ont été appliqués avant l'heure, ce qui a mis fin à la pratique -auparavant légale- de copier les livres d'universités américaines et d'en faire des éditions philippines.

CAAMP


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