S26 Bulletin  
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monde entier commençaient à communiquer et à partager leurs expériences sans l'intermédiaire des médias ou d'Organisations Non Gouvernementales (ONGs).

La première conférence de l'AMP a eu lieu à Genève - QG de l'ennemi commun, l'OMC. Plus de 300 délégués de 71 pays sont venus à Genève exprimer leur mécontentement face à la tournure que prend le projet capitaliste actuel. Des travailleurs de la poste canadienne et des écologistes de Earth First! aux militants antinucléaires et aux paysans français en passant par les indigènes Maori, U'wa, les peuples Ogoni, les syndicalistes coréens, les Anglais de Reclaim the Streets, le Réseau des Femmes indigènes d'Amérique du Nord ou encore les écologistes ukrainiens radicaux... tous étaient là pour constituer « un instrument mondial de communication et de coordination pour toutes celles et ceux qui luttent contre la destruction de l'humanité et de la planète par le marché mondial et qui construisent localement des alternatives démocratiques. » Quelqu'un a dit à propos de cet événement extraordinaire: « Il est difficile de décrire la chaleur et la profondeur des rencontres que nous avons faites ici. L'ennemi mondial est relativement bien connu, mais la résistance mondiale qu'il rencontre passe rarement à travers le filtre des médias. Ici nous avons rencontré les gens qui ont paralysé des villes entières au Canada par des grèves générales, risqué leurs vies pour s'emparer de terre en Amérique Latine, détruit le siège de Cargill en Inde ou le maïs transgénique de Novartis en France. Les discussions, l'élaboration concrète de plans d'action, les histoires de lutte, les personnalités, l'hospitalité enthousiaste des squatters genevois, les voix passionnées des femmes et des hommes face à la police devant le bâtiment de l'OMC, tout cela a scellé entre nous une alliance. Aujourd'hui nous sommes à nouveau éparpillés à travers le monde, mais nous n'oublierons pas. Nous restons unis. Ceci est notre lutte commune. »

Le principal objectif concret de ce rassemblement était de coordonner des actions contre deux événements de portée mondiale annoncés pour le mois de mai de la même année, à savoir d'une part le Sommet du G8 (réunion annuelle des huit pays les plus industrialisés) qui allait avoir lieu à Birmingham et d'autre part le deuxième sommet de l'OMC, prévu le lendemain du G8 à Genève. Cet objectif a été largement atteint puisque le mois de mai 1998 a vu des actes de résistances pendant quatre jours consécutifs dans plus de 65 coins du globe.

A Hyderabad en Inde, 200 000 paysans ont réclamé la mise à mort de l'OMC, à Brasilia 50 000 paysans sans terre et travailleurs sans travail sont descendus dans la rue et plus de 30 « street parties » ont été organisées dans des villes comme Helsinki, Sydney, San Francisco, Toronto, Lyon ou Berlin. A Prague, la plus grande mobilisation depuis la révolution de velours en 1989 a réuni des milliers de personnes pour une « street party » mobile qui s'est terminée par un « lifting » de plusieurs McDonalds et par des confrontations avec la police. Au même moment au Royaume-Uni, 6 000 personnes ont envahi les rues de Birmingham dont ils ont bloqué le centre, forçant ainsi les leaders du G8 à fuir la ville et à poursuivre leur conférence en des lieux plus paisibles. A Genève les rues bouillonnaient: les dirigeants politiques mondiaux s'y étaient rassemblés pour la deuxième conférence ministérielle de l'OMC et pour célébrer le cinquantenaire du GATT (General Agreement on Trade and Tariffs), devenu l'OMC. Plus de 8000 personnes venues de toute l'Europe et des autres continents ont protesté contre la tyrannie de l'OMC; des vitrines de banques ont été brisées et la Mercedes du Directeur de l'OMC retournée sur le toit. Suivirent cinq jours de mobilisations des plus chaudes que Genève aient connues.

A l'évidence il se passait quelque chose, quelque chose à large échelle dont l'élan était devenu imparable. Une année plus tard, une caravane intercontinentale formée de 500 personnes du Sud ont fait un tour d'Europe pour confronter de manière directe les gouvernements, les entreprises et les banques. La caravane a abouti à Cologne pour protester contre le sommet annuel du G8 qui se tenait le 18 juin 1999. Une deuxième Journée d'action mondiale avait été convoquée pour cette date. Des carnavals contre le capitalisme ont eu lieu sur des places financières de tous les continents et des actions organisées dans 72 lieux différents. Dans les médias, le terme « anticapitaliste « redevenaient monnaie courante.

Cinq mois plus tard, le 30 novembre 1999, une troisième Journée d'action mondiale a été annoncée pour le sommet de l'OMC à Seattle. A nouveau, des actions ont eu lieu dans plus de 70 villes du monde. A Seattle même, les activistes du Directe Action Network ont répondu à l'appel en bloquant totalement les treize route d'accès au sommet. Alors, les médias ont enfin compris qu'un nouveau mouvement international était en marche.

L'écologie est essentielle pour nombre de mouvements actuels. Cela explique peut-être en partie la popularité d'un modèle d'organisation et de coordination similaire à celui d'un écosystème. L'efficacité de ce modèle, qui repose sur un système de liens multiples, diversifiés et non hiérarchisés, est d'autant plus grande lorsqu'il est enraciné dans une réalité locale. Il se développe de la manière la plus créative lorsqu'il approche ses limites, les interstices, les points de convergences. Ces espaces sont les lieux de rencontre de différentes cultures, comme par exemple entre les Américains de Earth First! et les syndicats de bûcherons ou entre les travailleurs du métro de Londres et Reclaim the Streets. Les mondes dont rêvent les mouvements d'aujourd'hui seront à l'image des écosystèmes: diversifiés, équilibrés et harmonieux.

La « course vers le bas » mondiale contraint des travailleurs, des communautés et des pays entiers à baisser les salaires, à dégrader les conditions de travail, à restreindre les mesures de protection de l'environnement et à réduire les dépenses sociales pour rester compétitifs et favoriser ainsi un bénéfice maximal pour les transnationales. Mais il a aussi fait naître des résistances dans le monde entier. Et partout les gens réalisent que leur résistance sera vaine si elle reste locale et isolée. Imaginez que vous parveniez après des années de lutte acharnée à obtenir la fermeture de la décharge locale de déchets toxiques qui polluent votre région. Que fait la compagnie propriétaire de la décharge? Elle la déplace purement et simplement là où les prix seront plus bas et l'opposition plus faible, par exemple dans le Tiers-Monde ou en Europe de l'Est. Pour toutes ces collectivités, le choix est simple: soit elles se livrent entre elles une compétition sans merci, soit elles coopèrent pour résister à la destruction de nos vies, des nos terres et de nos moyens de existence par le capitalisme sauvage.

Anticapitalisme au curry

La deuxième Conférence de l'AMP s'est tenue à Bangalore, en Inde, en août 1999. Six jours durant, des gens de plus de 25 pays, aussi variés que le Nicaragua et l'Indonésie, se sont réunis pour parler du réseau, de ses forces et de ses faiblesses et de la direction qu'il prenait. A court terme, c'était l'occasion de coordonner la résistance mondiale en vue du Sommet ministériel de l'OMC du 30 novembre, mais cette conférence a aussi engendré des changements fondamentaux dans la structure de l'AMP, dans sa philosophie et dans sa manière de se définir.

Il y a eu consensus sur le fait qu'il fallait étendre notre critique au-delà l'OMC et du " libre " échange et attaquer de manière générale le capitalisme et les autres formes de domination, telles que le sexisme et le racisme.

La décision a été prise de démarquer plus clairement le réseau de l'AMP de groupes opposés à la mondialisation mais dont les idées divergent fondamentalement des nôtres, comme les groupements d'extrême-droite, les partis politiques ou les ONG réformistes.

Les participants à la conférence ont également réfléchi aux moyens de développer le réseau, de consolider et de le faire sortir du royaume du cyberespace pour le faire passer davantage dans celui, plus concret, de notre quotidien. La rencontre d'individus provenant d'horizons sociaux des plus variés s'est traduit par un travail de réflexion que tous ont pu ramener chez eux pour le mettre en pratique.

Le rapport se trouve dans son intégralité sur
http://www.squall.co.uk

La Caravane des paysans

La Caravane Intercontinentale, qui un mois durant a sillonné l'Europe au printemps 1999, était composée de 400 paysans et activistes dont des paysans d'une douzaine d'états indiens, des zapatistes, des Colombiens et des femmes du mouvement des paysannes sans terre du Bangladesh. Ceux-ci entendaient protester contre la dette, les termes inéquitables des échanges Nord-Sud, la mondialisation économique, les produits alimentaires génétiquement modifiés et la recolonisation du Sud plus généralement. Dans 11 bus, ils ont traversé 12 pays européens pour rencontrer des militants des mouvements sociaux et environnementaux et partager leurs expériences. Des actions ont été menées entre autres aux sièges européens de Novartis et de Cargill. Des champs d'OGM ont été détruits en Grande Bretagne et dans divers endroits de France (en collaboration avec la Confédération Paysanne).

A l'Est, la caravane a rencontré des paysans écologistes polonais. Au Sommet du G8 à Cologne, une « manifestation du rire » a été étouffée par des arrestations massives. La caravane a contribué à établir des liens entre cultures et pays et à l'intérieur de ceux-ci, notamment entre citadins et paysans d'Europe. Le réseau établi pour l'accueil de la Caravane en France s'est structuré autour d'un périodique, " Sans-titre " qui a notamment organisé une Caravane anticapitaliste (http://www.multimania.com/anticapitaliste/), qui ira de France à Prague, avec retour via Genève au mois d'octobre.

Pour plus de détails:
www.agp.org
N30: www.nadir.org/nadir/initiativ/agp/uscaravan/

LE DÉBAT SUR LE RÉSEAU

18 juin: Jour comme les autres ou lancement d'un mouvement mondial sans précédent? Quelques réflexions rapides sur la réalité des liens internationaux, le battage publicitaire sur internet à propos de l'événement, les ambiguïtés de certains discours sur la grande finance et la « mondialisation »... Et au fond, L'OMC est-elle vraiment l'ennemi suprême? Quelques contributions du réseau anglais sur des problèmes importants pour l'AMP.

La révolution ne se fera pas par e-mail

La majorité des habitants de la planète n'a jamais téléphoné. internet est un instrument des élites. La plupart des reportages ou commentaires sur le 18 juin diffusés par les médias anglais répètent que l'action a été organisée grâce à internet. S'il est vrai que cet outil de communication s'est révélé utile, la tendance générale des médias à se pencher sur son utilisation par des groupes radicaux en dit plus long sur la restructuration technologique de l'économie mondiale que sur la manière dont les gens ont véritablement participé à cet événement.

A quelques exceptions près, les organisateurs du J18 à Londres, par exemple, étaient tout à fait conscients des connotations élitistes de la technologie. Hormis l'usage qu'ils ont fait du web et du e-mail, les organisateurs ont fait des démarches qui, contrairement à la fausse croyance générée par les médias, sont encore essentielles à toute mobilisation ou mouvement: ils ont envoyé un millier de lettres proposant de participer à l'action dans plusieurs langues, imprimé plusieurs tracts à plus de 30 000 exemplaires, participé de manière régulière à des réunions et à des conférences ou en ont organisées, etc.

Les médias négligent ces moyens d'organisation archaïques, ce que tout mouvement visant à attaquer les inégalités et à créer des communautés libres et écologi-

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