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Bolivie
Par IGNACIO RAMONET
http://www.monde-diplomatique.fr/2003/11/RAMONET/10427

C'était une démocratie parfaite. Ne respectait-elle pas les deux droits humains fondamentaux : liberté de la presse et libertés politiques ? Que le droit au travail, le droit au logement, le droit à la santé, le droit à l'éducation, le droit à l'alimentation et tant d'autres droits tout aussi fondamentaux y aient été systématiquement piétinés ne diminuait en rien, semble-t-il, la «  perfection démocratique  » de cet Etat.

En Bolivie, pays d'à peine 8,5 millions d'habitants disposant d'un des sous- sols les plus généreux de la planète, une poignée de nantis accaparent les richesses et le pouvoir politique depuis deux cents ans, tandis que 60 % des habitants vivent en dessous du seuil de pauvreté. Les Amérindiens ­ majoritaires ­ demeurent discriminés, la mortalité infantile atteint des taux indécents, le chômage est endémique, l'analphabétisme domine et 51 % des gens ne disposent toujours pas d'électricité. Mais cela ne modifie pas l'essentiel : il s'agit d'une «  démocratie  ».

Aussi, quand les 11 et 12 octobre, sur ordre du président Gonzalo Sanchez de Lozada, l'armée tire à la mitrailleuse lourde sur des manifestants et fait quelque soixante morts et des centaines de blessés (1), Mme Condoleezza Rice, conseillère du président des Etats-Unis, parlant de cette révolte et s'adressant aux membres de la Société interaméricaine de presse (SIP) réunis à Chicago, déclare que Washington met en garde les manifestants ( !) contre «  toute tentative de renverser par la force un gouvernement démocratiquement élu (2)  ». On se souvient que, le 11 avril 2002, lorsque M. Hugo Chávez, président tout aussi démocratiquement élu du Venezuela, fut momentanément renversé par des militaires que soutenaient le patronat et les grands médias, Washington s'était empressé de reconnaître les putschistes au prétexte mensonger que M. Chávez «  avait fait tirer contre son peuple  »...

«  Le Boucher  », comme les Boliviens surnomment désormais M. Sanchez de Lozada, a tout naturellement cherché refuge à Miami, le 17 octobre, sans que les Etats-Unis envisagent de le traîner devant un quelconque tribunal pour crimes contre l'humanité.

Pourquoi le feraient-ils ? Ministre de la planification de 1986 à 1989, M. Sanchez de Lozada, conseillé par l'économiste Jeffrey Sachs, avait soumis son pays à une «  thérapie de choc  », comme le souhaitait Washington ­ avec pour conséquence le licenciement de dizaines de milliers de salariés du secteur d'Etat. Lors de son premier mandat (1993-1997), ce président ultralibéral, devenu l'un des hommes les plus riches de son pays, a accepté, toujours sous la pression des Etats-Unis, d'appliquer un programme d'éradication de la coca responsable de la ruine de centaines de milliers de cultivateurs qui, sans autre possibilité de survie, sont depuis en état de révolte permanent. Il a également entrepris de privatiser, en faveur de firmes essentiellement américaines, tout le patrimoine de l'Etat : chemins de fer, mines, pétrole, électricité, téléphone, compagnies aériennes, eau.

La privatisation de la distribution d'eau dans la ville de Cochabamba en faveur de l'entreprise américaine Bechtel (l'une des grandes bénéficiaires du programme de privatisation intégral de l'Irak que conduisent actuellement les autorités d'occupation) avait donné lieu, en avril 2000, à une insurrection et s'était soldée par le départ de Bechtel, le recul du gouvernement et la renationalisation de l'eau.

Ces deux conflits, celui des cultivateurs de coca et celui de Cochabamba, ont vu l'émergence d'un dirigeant populaire hors normes : Evo Morales. Quarante-deux ans, indien aymara, autodidacte, dirigeant syndical, il mène depuis près de vingt ans le secteur le plus revendicatif, celui des paysans ruinés par l'éradication de la coca.

A l'échelle de l'Amérique latine et chez les altermondialistes, M. Evo Morales, figure de proue d'un mouvement indigéniste qui se manifeste avec une énorme force en Equateur, au Pérou, au Chili, au Paraguay, est devenu une personnalité très populaire. Avec un autre dirigeant indien, Felipe Quispe, du Mouvement indigène Pachakuti (MIP), c'est lui et son organisation, Mouvement au socialisme (MAS), qui ont conduit l'offensive contre la politique néolibérale de M. Sanchez de Lozada et de son allié social-démocrate, M. Jaime Paz Zamora. Une politique qui, à travers un groupe de multinationales, visait à déposséder le pays de ses réserves de gaz en les bradant aux Etats-Unis, et qui, en dernière instance, a provoqué l'explosion.

Le ras-le-bol des Indiens boliviens se fonde sur des siècles d'expérience historique. L'exportation des richesses naturelles (argent, étain, pétrole) n'a jamais amélioré la situation des pauvres et n'a jamais permis la modernisation du pays. Comme en Equateur en janvier 2000 contre le président Jamil Mahuad, au Pérou en novembre 2000 contre le président Alberto Fujimori, et en Argentine en décembre 2001 contre le président Fernando de La Rua, la population bolivienne, en renversant M. Sanchez de Lozada, rejette un modèle économique qui, partout en Amérique latine, a aggravé la corruption, ruiné les populations et augmenté l'exclusion sociale.

IGNACIO RAMONET

1. International Herald Tribune , París, 15 de octubre de 2003. En total, el número de víctimas de la represión se elevaría a unos 78 muertos y varios centenares de heridos. Conviene añadir los 34 muertos y 205 heridos de febrero, con ocasión de un levantamiento de los trabajadores... y de la policía contra la aplicación de un impuesto a los salarios bajos. Ningún periódico de Francia se dignó publicar estas informaciones.

2. Comunicados de AP y EFE, 13 de octubre de 2003.


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