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Date: Mon, 11 Feb 2002
Resume situation en Bolivie

La Bolivie : de l'éradication de la coca à l'éradication du
syndicalisme paysan et du mouvement populaire


Après un mois de janvier très difficile, et le mois de
février à peine entamé, la situation en Bolivie s'est
aggravée : six sur neuf départements se trouvent semi
paralysés suite aux blocages des routes principales.  
30.000 paysans ont été mobilisés et sont attendus très
prochainement à La Paz pour renforcer les blocages . La
région des Yungas est complètement incommunicable. A Oruro,
des affrontements avec l'armée ont provoqué la mort d'un
paysan et blessé 8 autres. A Cochabamba, région d'où le
conflit s'est étendu à tout le pays, la violence est
quotidienne. En l'espace d'une semaine, dix journalistes de
différents moyens de communication ont été agressés par les
forces de l'ordre. La situation est telle que, selon un
journal local, les journalistes de la presse doivent
s'équiper de gilets pare-balles, masque à gaz pour pouvoir
travailler dans les rues. 

A mesure que le mouvement s'étend, les revendications se
multiplient et se radicalisent.  Aux exigences spécifiques
à chaque secteur (dont la Centrale ouvrière bolivienne,
l'Association des retraités, la Fédération des enseignants,
les Régents, la Confédération unique des travailleurs
paysans de Bolivie, la Coordination de défense de l'eau,
etc.) s'ajoutent également d'autres revendications de
caractère plus général. Les paysans, par exemple, 
réclament à présent non seulement des terres, le respect à
leur identité culturelle, la création d'une banque
indigène, l'indemnisation des familles des paysans morts et
blessés, le jugement de l'ex président Banzer . Leur
revendication vont également plus loin : il réclament
l'abrogation des lois 1008 et 21060, sur lesquelles se
basent depuis 15 ans la politique anti drogue et le modèle
économique néo libéral en vigueur. 
Trois exigences sont à la tête et sont communes à toutes
ces plate formes de revendications : la dérogation du
décret 26415, le retour d'Evo Morales à la chambre des
députés et la libération des 60 cultivateurs de coca
emprisonnés. 

Chronologie :

Le 28 novembre 2001, le décret 26415 qui interdit le
transport et la commercialisation de la coca est approuvé .
Selon ce décret, toute personne surprise en train de
transporter ou de vendre de la coca du Chapare est passible
d'une peine de 8 à 12 ans de prison. Seule la vente de
feuilles de coca provenant des Yungas est autorisée. 
Le mois de décembre voit une succession de réunions, de
communiqués et de manifestations des producteurs,
transporteurs et commerçants qui exigent l'annulation du
décret. L'Assemblée des Droits de l'Homme ainsi que le
Défenseur du Peuple sont appelés. Ces deux organismes se
prononcent également pour l'annulation du décret en le
dénonçant comme anticonstitutionnel.
En janvier 2002, des soulèvements et manifestations se
succèdent. Les cultivateurs de coca se déclarent en état
d'urgence et menacent de bloquer les routes. Finalement,
les cocaleros du Chapare  appèlent à une grande
manifestation de protestation vers la ville de Cocabamba
pour le 14 janvier.
Le lendemain, la violence  se déchaîne a Sacaba, ville
située entre le Chapare et Cochabamba et siège du plus
ancien marché de coca et de l'organisme de contrôle et de
fiscalisation de l'Etat de la feuille de coca. 
Vingt-cinq véhicules de cet organismes sont brûlés et deux
membres des forces de l'ordre sont blessés par balles. Le
16 janvier, deux paysans sont tués et un soldat blessés,
toujours à Sacaba.
Les essais de dialogue ayant échoués, les violencent
continuent et deux paysans et deux militaires et deux
policiers perdent la vie dans les affrontements. 
Le 19 janvier, commencent des opérations surprises dans les
syndicats des cocaleros. Plus de 70 dirigeants sont
emprisonnés. L'Assemblée des Droits de l'Homme dénonce des
tortures, mauvais traitements et viol.
Le 24 janvier 2002, le député Evo Morales est expulsé du
Parlement, accusé  de " faute éthique grave, en ayant abusé
de son immunité parlementaire pour inciter à la violence ".
Morales entreprend une grève de la faim, les mobilisations
dans le Chaparé et à Cochabamba commencent et s'étendent
peu à peu à tout le pays.

Antécédents au décret :

Le décret 26412, qui fait partie du " plan de dignité " se
révèle être le chaînon manquant des quinze dernières années
de lutte contre la drogue et le trafic de drogue en
Bolivie. Les différents plans et stratégies qui se sont
succédés durant ces années ont eu comme point commun
l'intromission des Etats-Unis dans leur élaboration et la
soumission à différents degrés des gouvernements successifs
à ce dictat 
Ainsi, des premières  années de " guerre contre les drogues
" de l'époque Reagan, on est passé à celles de " coca pour
le développement ", " coca pour l'investissement " ,
jusqu'à aux années de la fameuse " diplomatie de la coca ".

Expressions qui démontrent un certain degré de souveraineté
dans la définition des politiques antidrogues. 
Mais ces  politiques contre la drogue furent de toute
manière tributaires de la fameuse " certification " et de
l'appui financier octroyé par les Etats-Unis.
De plus, ces programmes successifs ont pour point commun
leur asservissement à la vision stratégique des Etats-Unis
qui se contentent de s'attaquer à l'offre, c'est à dire au
petit producteur de coca en Bolivie, plutôt qu'à la demande
dans leur propre pays. Ces différents programmes ont en
plus tous échoué dans leur prétentions de substitution des
cultures de coca au profit d'autres cultures.

La difficile substitution :

L'utilisation de la coca remonte à la période préhispanique
et on suppose qu'elle s'étendait du nord de l'Argentine
jusqu'au Nicaragua et les îles des Caraïbes. La région des
Yungas près de La Paz produit de la coca depuis cette
époque. A Cochabamba (Chapare), la culture de la coca a été
introduite dans le courant du 18ème siècle. Avec la
Révolution nationale de 1952, la région des Yungas voit sa
production décliner peu à peu au profit du Chapare qui
devient la principale zone de production à partir de 1972.
Ces dernières années, dans un contexte de grave crise et
face à une demande à des fins illicites sans cesse
grandissante, la production de la coca ne cesse
d'augmenter. Pour les paysans, abandonnés par les
différents gouvernements, confrontés à la dégradation de
leur économie et sans accès à un minimum de services, la
coca et les ressources qu'elle engendre représente une
réelle stratégie de survivance. 
La substitution de la coca se révèle très difficile pour
les paysans par manque d'appui technique et institutionnel
et en l'absence d'accès au crédit. Le manque
d'infrastructure sociale et tout type de problèmes liés à
la commercialisation comme la transformation adéquate des
produits, du transport, de l'accès aus marchés existants,
etc.
De plus, la feuille de coca fait partie de la culture, des
croyances et  de l'alimentation de toute une partie de la
population bolivienne et constitue un apport économique non
négligeable dans la commercialisation des produits dérivés
(infusions, huiles, pommades, etc.). La feuille de coca
joue également un rôle comme symbole d'identité et de
solidarité de groupe. En ce sens, s'attaquer à
l'utilisation de la feuille de coca constitue une atteinte
aux bases de la culture andine et de la solidarité
paysanne.

Du plan dignité au decret 26415

Les gouvernements successifs ont, comme nous l'avons
évoqué, suivi les orientations et la pression des Etats
Unis à des degrés différents. Le " plan dignité " lancé il
y a quatre ans par l'ex dictateur Hugo Banzer, atteint un
degré de soumission extrême. Ce plan a pour objectif la "
coca zéro ". Les raisons de cet abandon total de
souveraineté nationale  en matière de lutte anti drogue
peuvent s'expliquer par le passé de Banzer (non seulement
comme dictateur dans les années septante mais également par
ses liens avec le narcotrafique).
Durant les deux dernières années, les nombreuses
déclarations de plan " coca zéro " se sont multipliées en
même temps que les démentis. La coca zéro est un objectif
inatteignable. 
Si Banzer commençait l'année 2001 en décrétant  le succès
de " coca zéro ", son successeur le président Quiroga,
commence cette année 2002 avec la surprise de constater
qu'il reste encore 6000 hectares de plantation de coca. Un
observateur assure qu'au rythme actuel de replantation, le
niveau des années 80 risque d'être atteint, c'est à dire
entre 60 et 70.000 hectares de plantation.
D'autre part, le " Plan dignité " s'inscrit dans une
stratégie appelée " Initiative andine " qui, en réalité,
étend le Plan Colombie à la Bolivie, Pérou, Equateur et
Venezuela. L'an passé,  le " tsar " bolivien antidrogue en
exercice, dans un lapsus qui lui a été aussitôt reproché
énergiquement par l'ambassade et le gouvernement bolivien, 
a admis que le plan était un " Plan Colombie à la
bolivienne " et a donné plusieurs informations peu connues
du Plan tels que l'implantation de 8 bases militaires,
ainsi que les montants et les attributions de l'aide nord
américaine supposées être secrètes. Il dut se rétracter le
lendemain de sa déclaration, ce qui n'a pas occulté
l'intensification croissante de la militarisation de la
région durant les derniers mois de l'année 2001.
 Cette période se termine par la proclamation du décret
26415 qui pénalise la feuille de coca dans l'état naturel
(l'interdiction de la transporter et de la commercialiser
ne signifie pas autre chose), confirme l'échec de
l'utopique objectif " coca zéro " et déchaîne la vague de
violence qui s'est soldée par le mort de 4 paysans et 4
membres des forces de l'ordre.

L'expulsion du député Evo Morales

Ces 4 dernières victimes sont utilisées pour émouvoir
l'opinion publique et, lors d'un procès grossièrement monté
dans un temps record de 72 heures, le parlementaire Evo
Morales est sanctionné de la peine maximum que le règlement
de la chambre des députés peut appliquer à un parlementaire
: la  " séparation définitive " est un genre de
décapitation démocratique qui retire au député son mandat
populaire.
Si l'exclusion de parlement est due à une supposée " faute
d'éthique ", ce que l'on prétend en réalité c'est que
l'opinion publique le condamne pour la mort des quatre
militaires. D'autre part, le pouvoir politique s'est
substitué grossièrement au pouvoir  judiciaire : si Morales
avait une quelconque responsabilité dans l'affaire, un juge
devrait initier par une demande de levée d'immunité afin
d'entamer son procés. Evo Morales est expulsé  sans que le
pouvoir judiciaire ne soit intervenu, fait qui n'avait
jamais été vu au Parlement jusqu'à présent.

De la " coca zéro " à l' " opposition zéro "

Le nouvel objectif de la lutte contre la drogue n'est plus
l'éradication de la feuille de coca mais celle du
syndicalisme paysan et de son projet politique national. Ce
mouvement ne cesse d'aller en s'amplifiant depuis 1995. Le
mythe de la " coca zéro " s'est vu substitué par
l'élimination du syndicalisme paysan.
Evo Morales a été expulsé du parlement  avec la claire
intention de le détenir et ensuite jugé par la justice
ordinaire afin de le déclarer inapte électoralement en
éliminant le potentiel politico-électoral d'un lider qui
fut élu au parlement avec 61,8 % des voix de sa région.
Ce qui gêne l'ambassade américaine et le gouvernement
bolivien c'est que la résistance aux politiques anti drogue
en Bolivie ait été syndicale et non armée , contrairement à
d'autre pays producteurs de coca.
Evo Morales est ainsi sacrifié par l'ambassade américaine
qui ne le désigne plus comme lider politique ou syndical
mais comme le chef de la guerilla liée au trafic de
drogue.

L'indigne " Plan dignité "

Ce plan ne passera pas à l'histoire comme celui qui aura
sorti la Bolivie du circuit coca-cocaïne, ou qui aura
réduit le trafic de drogue. Il restera comme la plus forte
tentative de l'Etat de briser la résistance interne, la
base sociale qui défend la production de la feuille de
coca. Il demeurera également comme le  plan ayant écarté un
lider et éviter que ne grandisse son influence en
entraînant d'autres secteurs comme les sans-terres et les
colonisateurs. Loin de remplir ses objectifs, le " Plan
dignité " a aggravé les problèmes de la coca et de sa
substitution de même que les problèmes de la démocratie et
de la crédibilité du système politique.

Sources :  les Journaux boliviens Los Tiempos, La Razon, La
Prensa, El Diario, Domingo et Pulso Digital

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