Date: Thu, 07 Feb 2002
Le pillage de l'Argentine: courte histoire

 
 Bonjour!
 Cette extraordinaire histoire du pillage de l'Argentine, faite par les
 copains de l'AMP en Asturies, nous sembla valoir d'être traduite.
 Olivier
 
 	DE LA DICTATURE MILITAIRE A LA DICTATURE ECONOMIQUE
 Le saccage de l'Argentine par le FMI, les multinationales
 et les banques occidentales.
 
 La dictature militaire du général Videla (1976-1981) se distingua par une
 agressive politique d'endettement de l'Etat et des entreprises publiques.
 L'endettement de l'Argentine était l'une des principales priorités des
 intérêts étrangers qui étaient derrière la dictature: tout de suite après
 le coup d'Etat militaire, le Fonds  Monétaire International (FMI) accorda
 un énorme crédit à l'Argentine et déclara aux banques occidentales que ce
 pays était un endroit privilégié pour recycler l'excès des pétrodollars
 [1]. La dictature justifiait l'endettement irrationnel argumentant son
 besoin de divises fortes pour soutenir son augmentation absurde des
 importations, particulièrement d'armes (achetées aux mêmes pays et aux
 mêmes entreprises qui avaient promu le coup d'Etat militaire et
 l'endettement). Néanmoins, les fortunes envoyées par les capitalistes
 argentins aux pays occidentaux et paradis fiscaux pendant la dictature
 constituent une somme plus importante que le total des dettes contractées
 par l'Argentine pendant cette période.
 
 Depuis le début de la dictature (mars de 1976), la dette externe argentine
 a augmenté de moins de 8.000 millions de US$ à plus de 170.000 millions
 [2]. Pendant la même période, l'Argentine a remboursé autour de 200.000
 millions de US$, mais la dette a continué à grimper, à cause,  surtout, de
 la forte augmentation des taux d'intérêts décidée par Reagan et Thatcher au
 début des années 80s.
 
 La dictature provoqua délibérément la faillite du secteur publique, pour
 faciliter ensuite sa privatisation. La principale entreprise publique
 Argentine, par exemple, la pétrolière YPF (Gisements Pétroliers Fiscaux,
 appartenant aujourd'hui à l'entreprise espagnole Repsol-YPF) fut obligée de
 s'endetter à l'extérieur, même si elle n'en avait pas réellement besoin. Au
 moment du coup d'Etat militaire, la dette externe de YPF était de 372
 millions de US$. Sept années plus tard, à la fin de la dictature, cette
 dette se montait à 6.000 millions de US$. Presque tous les crédits étaient
 aux mains de la dictature, qui, pour augmenter encore ses revenus,
 réduisait de moitié les commissions pour la vente de combustibles destinées
 à YPF. La compagnie fut obligée de faire raffiner son pétrole par les
 multinationales privées Esso et Shell, bien que sa bonne situation
 financière au début de la dictature lui aurait permis de se donner une
 capacité de raffinage appropriée à ses propres besoins et de compléter de
 cette façon celle de ses trois raffineries déjà existantes. A la fin de la
 dictature, YPF était asphyxiée par les dettes, malgré le renvoi de 13.000
 travailleurs sur un total de 47.000 travailleurs que comptait l'entreprise
 en 1976.
 
 D'une manière générale, les prêts multimillionnaires contractés par l'Etat
 ou les entreprises publiques auprès des banquiers du Nord étaient
 immédiatement replacés comme dépôts dans ces mêmes banques ou dans d'autres
 banques concurrentes. En 1979, le 83% de ces réserves étaient en dehors du
 pays. La Banque Centrale argentine plaçait ses fonds dans les banques des
 Etats Unis, qui comptaient avec l'aval généreux de la Réserve Fédéral des
 Etats Unis. Dans tous les cas, l'intérêt reçu par les sommes déposées était
 inférieur à l'intérêt payé par la dette. La Banque Centrale argentine fut
 dirigée pendant la dictature de Videla par Domingo Cavallo, qui fut par la
 suite ministre de l'économie de Carlos Menem (du parti péroniste) et de De
 la Rúa (du parti radical). Le Secrétaire d'Etat pour la Coordination et la
 Programmation Économique de 1976 à 1981, Guillermo Klein, dirigeait en même
 temps un bureau privé qui représentait les intérêts de 22 banques
 étrangères [3].
 
 A la fin de la dictature, l'Etat assuma toutes les dettes (réelles ou
 fictives) des capitalistes argentins et étrangers. La banque Centrale
 argentine déclarait qu'elle n'avait pas de registre de la dette externe
 publique, néanmoins le gouvernement d'Alfonsín a décidé d'assumer
 l'ensemble de la dette, privée et publique, sur la foi des affirmations des
 créditeurs étrangers et des contrats signés par les membres de la
 dictature. L'Etat argentin accepta aussi les dettes, (fabriquées à souhait
 avec des contrats fictifs), contractées par les succursales argentines des
 entreprises et des banques multinationales auprès de leurs sièges
 principaux ou avec des banques internationales. Seules les dettes que la
 dictature imposa aux entreprises publiques, n'ont pas été assumés tout de
 suite par l'Etat. Menem pouvait alors les privatiser en évoquant leur lourd
 endettement, ouvrant ainsi la voie aux transferts des dettes à l'Etat.
 
 Après la dictature, les militaires tortionnaires obtinrent l'impunité, la
 plupart des responsables économiques de la dictature gardèrent leurs postes
 et beaucoup d'entre eux furent promus. Avec le retour des civils, une
 commission parlementaire fut crée pour investiguer le saccage du pays. Elle
 fut rapidement dissoute par le président Alfonsín, car ses résultats
 auraient discrédité sa politique économique, qui avait déjà étatisé la
 dette privée. Une action en justice, initiée par le journaliste Alejandro
 Olmos en 1982 permit, 18 années plus tard, à la Court Suprême de décréter
 que la dette avait comme origine un mécanisme de dilapidation et de
 déviation de Fonds, dont ont éte responsables le Gouvernement argentin, le
 Fonds  Monétaire International, les banques privées du Nord et la Réserve
 Fédéral de EE.UU. La sentence (du 13 juillet 2000) révéla que l'Etat avait
 couvert les dettes de 26 banques avec lesquels le même Etat argentin était
 endetté, tels que la Citibank, la Deutsche Bank, la Chase Manhattan Bank,
 la Bank of America, etc. D'après cette sentence "la dette externe (...)
 avait été maladroitement augmentée à partir de 1976, par une politique
 économique vulgaire et offensante qui a mis à genoux le pays (...) et qui
 cherchait, entre autres choses, à favoriser et soutenir des entreprises
 privées -nationales et étrangères- en portant préjudice à des sociétés et
 des entreprises de l'Etat qui, par une politique délibérée, s'appauvrirent
 de jour en jour" (p. 195). La Court Suprême déclara "illégitime" la dette
 contractée par le régime de Videla et recommanda au Congrès d'utiliser
 cette sentence afin de négocier son annulation. Le Congrès ignora la
 recommandation, car ceux qui le composent profitent aussi du pillage: les
 capitalistes argentins achètent dans les marchés financiers nord-américains
 et européens les titres de la dette de leur propre pays avec l'argent
 qu'ils ont sorti du même pays, et ils reçoivent alors une partie des
 remboursements.
 
 Le régime de Menem, qui succéda celui d'Alfonsín, précipita une politique
 généralisée de privatisations, liquidant à des prix dérisoires une grande
 partie du patrimoine collectif d'entreprises publiques en prétextant son
 "endettement", un argument ridicule car l'Etat assuma ces dettes avant de
 les privatiser! Encore une fois, des milliers de millions de dollars
 passèrent dans les mains de particuliers (en général nord-américains et
 espagnols) grace à une politique de collectivisation de pertes et de
 privatisation des gains. L'entreprise Meryl Lynch, par exemple, à qui Menem
 commanda la l'évaluation de YPF, diminua délibérément de 30% son estimation
 des réserves pétrolières exploitables par YPF afin de sous-estimer sa
 valeur avant la vente. Ces réserves apparurent de nouveau dans les comptes
 après la privatisation, provoquant de spectaculaires gains en bourse pour
 ses nouveaux propriétaires. Selon le journal El País [16 février 2001 et 8
 janvier 2002], les bénéfices déclarés par Repsol-YPF pendant l'année 2000
 montèrent à $ 2,1 milliards, dont 45% proviennent de l'Argentine.
 
 Pire encore fut le saccage de la compagnie aérienne d'Argentine (à présent
 propriété de SEPI, c'est-à-dire d'Iberia) Les Boeing 707 de cette société
 furent "vendus " pour un dollar (exactement US$ 1,54), et maintenant la
 compagnie privatisée doit payer en "leasing" pour les utiliser. Les droits
 d'utilisation des voies aériennes de la compagnie, d'une valeur de 800
 millions de dollars, furent estimés à 60 millions. La société fut cédée à
 Iberia pour un montant liquide de 130 millions de US$, le reste était
 constitué par l'annulation de crédits d'une dette fictive et infâme sans
 aucun lien avec le peuple argentin. Iberia prit des crédits pour acheter
 l'entreprise et transforma la totalité de la dette contractée en dette de
 la nouvelle entité, qui se trouva du coup au bord de la faillite à cause de
 ses nouveaux acquéreurs, même si l'Etat argentin avait déjà assumé les
 dettes pour lesquelles la compagnie avait été privatisée.
 
 Repsol et Iberia ne sont pas une exception. Saisies d'enthousiasme
 néo-colonial, les banques et les multinationales espagnoles ont pris le
 control des secteurs stratégiques de l'économie argentine. Les banques
 espagnoles BBVA et BSCH sont propriétaires de  la Banque Française et de la
 Banque du Río de la Plata, respectivement, mais leur pouvoir va beaucoup
 plus loin, en contrôlant le crédit, elles tiennent un rôle déterminant dans
 l'économie argentine. Parmi les multinationales espagnoles, celles qui ont
 le plus de pouvoir en Argentine sont Repsol, Telefónica (qui pour l'année
 2000 déclarait des bénéfices de plus de $2 milliards), Iberia, Aguas de
 Barcelone (qui possède un partie de Aguas Argentines et Aguas Cordobesas,
 plusieurs centres médicales et l'entreprise du bâtiment Acsa), Endesa
 (EDESUR et Costanera) Dragados et Construcciones (Aguas de Misiones et les
 entreprises du bâtiment Ausol et Detcasa). Ces entreprises investissent
 dans les secteurs stratégiques, car dans un contexte de crise la demande et
 le prix de produits qui ne sont pas absolument indispensables peuvent
 diminuer. Par contre, il est plus difficile de se passer de produits tels
 que l'eau, la santé, l'énergie, la communication, le logement et les
 transports. C'est pourquoi les prix ne tombent pas et il est même possible
 de les faire grimper. (Comme Repsol a voulu le faire récemment). Une partie
 grandissante de la population ne peut plus payer ces produits et ces
 services pourtant vitaux, mais cette situation fait partie des règles du
 jeu capitaliste et il y aura toujours des gens prêts à payer. Ceci explique
 que les cotisations en bourse des multinationales espagnoles présentes en
 Argentine n'ont guère été affectées par la crise. Les cotisations des
 banques sont légèrement tombées, à cause de la dévaluation qu'elles ont
 contribuée à provoquer avec leur transfert massif de fonds vers les paradis
 fiscaux et les pays occidentaux. Mais en plus de ces petites pertes en
 bourse, les banques et les multinationales mériteraient de se faire
 exproprier.
 
 Un quart de siècle après le coup d'Etat militaire et le début de l'ère
 néo-libéral, le pays est exsangue. Le 90% des banques et le 40% de
 l'industrie sont aux mains de capitales internationales. Le pays est,
 depuis juillet 1998, dans sa plus grave récession. La santé et l'éducation
 sont en lambeaux. Le salaire moyen réel équivaut à la moitié de celui de
 1974. Le chômage est très élevé. Les services publics sont dans un piètre
 état, la pauvreté frappe des couches importantes de la population, les
 caisses de l'Etat sont vides, une grande partie de l'appareil productif est
 abandonné et le reste est aux mains de capitaux étrangers. Il ne reste pas
 grand chose à privatiser et tous les flux de capitaux (argentin et
 étranger) se dirigent vers l'extérieur.
 
 Les principaux bénéficiaires de l'exploitation qui a mis le pays dans cette
 situation sont les banques et multinationales étrangères (spécialement des
 Etats Unis et de l'Espagne, mais la Suisse y a aussi d'importants
 investissements) et les grandes institutions financières internationales
 comme le Fond Monétaire International (FMI) et la Banque Mondiale qui
 possèdent plus de 80% de la dette externe argentine. Presque tous les pays
 du Sud ont souffert un traitement semblable et sont aujourd'hui dirigés par
 le FMI, par les multinationales et par les banques. La Russie et d'autres
 pays de l'Est, après avoir échangé les bureaucraties inhumaines du marxisme
 autoritaire pour un capitalisme atroce, suivent le même chemin.
 
 Le néo-libéralisme fut imposé en Argentine par un régime dictatorial
 fasciste et sans pitié et qui n'a pas hésité à tuer, à torturer et à faire
 disparaître des dizaines de milliers de personnes pour atteindre son but.
 Aujourd'hui il est maintenu par un système global centralisé de pouvoir
 économique, politique et militaire, plus subtil et moins tangible que
 Pinochet ou Videla, mais également génocide. L'Union Européenne est une
 partie fondamentale de ce système, ceux qui portent le plus de
 responsabilités dans cette politique néo-coloniale sont les ministres de
 l'économie et des finances et les gouverneurs des banques centrales
 nationales et européennes. Ces messieurs se réuniront du 12 au 14 avril
 2002 en Oviedo, Espagne, ils sont très attendus...
 
 Comité de Solidarité avec l'Amérique Latine (COSAL)
 Mouvement Anti-Globalisation Asturian (MAGA)
 
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 NOTES: [1] L'augmentation des prix du pétrole en 1973, provoqua une
 situation paradoxale et une importante récession en Europe Occidentale et
 aux Etats Unis. Il y avait un excès d'argent dans les banques, mais à cause
 de la récession, il n'y avait pas de possibilités d'investissements pour
 les extraordinaires revenus produits par le pétrole (les pétrodollars). Ce
 type de situation peut amener à la faillite des banques. En effet, elles
 ont besoin de prêter plus d'argent qu'elles n'en reçoivent en dépôt, afin
 de pouvoir payer ainsi les intérêts pour l'argent déposé et faire de
 bénéfices. Pour cette raison les banques menèrent une agressive politique
 pour prêter aux pays du Sud, qui accompagnée d'autres facteurs (tels que
 les coups d'Etat militaires planifiés depuis Washington) ont donné
 naissance à la crise de la dette externe des pays du Sud.
 2] Selon l'OCDE, la dette externe argentine s'élevait en 1999 a 169
 milliards de US$ (Statistiques de la dette extérieure, OCDE 2001, p.20).
 [3] Cinq jours après l'occupation des îles Malvinas par l'armée argentine
 et de la déclaration de la guerre contre la Grande Bretagne, Klein fut
 désigné comme représentant à Buenos Aires de la banque britannique Barclays
 Bank Limited, l'un des principaux créanciers privés de la dette publique et
 de la dette privée argentine.
 
 Traduit de l'espagnol par Fernando Carvajal.
  

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