Le rapport d'observation sur la police pointe de gros défauts
Paru le : 20 juin 2003 http://www.lecourrier.ch/essai.htm?/Selection/sel2003_520.htm

APRÈS-G8 · Les gens s'étonnent de l'absence de policiers au centre de Genève le 31 mai, mais le Conseil administratif s'en doutait et a pris « ses » mesures de sécurité.

MICHEL SCHWERI

« Les termes du mémorandum d'accord ont été respectés autant par le Conseil d'Etat que par le Forum social lémanique. » Si Peter Arbenz l'a déjà dit, cette phrase est tirée du rapport de synthèse des trois coordinateurs des observateurs parlementaires genevois qui ont contrôlé le déroulement des mobilisations contre le G8. Ce document de cent vingt pages recèle une multitude de détails relevés par une trentaine de députés durant les manifestations et les casses en ville entre le 31 mai et le 2 juin.

A la base, rappelle ce rapport déposé au Grand conseil le 10 juin, l'idée de créer un groupe d'observateurs parlementaires est venue de quelques libéraux, même si la droite n'y a finalement pas participé. A l'exception du Parti démocrate-chrétien, dont trois élus ont joué le jeu avec des députés des formations de l'Alternative. S'il souffre forcément de quelques biais subjectifs - les données qui ont été notées «àchaud » dans la rue -, le rapport soulève nombre de questions intéressantes. Une lecture « transversale », par événement, des cent pages de fiches remplies par les députés sur le terrain permet de recouper de nombreux points de vue.

LA VILLE SAVAIT QUE...

Ses auteurs tirent une première conclusion: mis à part les policiers allemands « qui ne semblaient pas connaître notre existence », les agents « se sont comportés de manière exemplaire, même quand ils ont eu à subir des humiliations », est-il écrit d'emblée. En revanche, le dispositif policier fait l'objet de critiques. Ainsi, samedi 31 mai, à 22 h 15, le socialiste Pierre Guérini rentre chez lui par le centre-ville et n'a vu « aucune force de police, pas même une patrouille en voiture ». Trois quarts d'heure plus tard, les premières vitrines étaient descendues... Une absence d'agents que le démocrate-chrétien Guy Mettan « ne s'explique pas ».

Un défaut d'autant plus incompréhensible que le Conseil administratif de la Ville de Genève avait anticipé le risque de casse. « Puisque la police nous avait laissé entendre qu'il fallait assurer nous-mêmes la sécurité de nos immeubles à haute valeur patrimoniale, confirme Christian Ferrazino, maire de Genève, nous avons mandaté une agence privée pour veiller humainement sur nos bâtiments. » Ainsi l'agent de sécurité Pierre Muller - officiellement remercié par le canton pour avoir sauvé la Tour Baudet des flammes - était-il payé par la Ville. Alors qu'aucun policier n'était à proximité...

...LA POLICE GARDE LES AVIONS

Les musées, la Treille, l'Hôtel de ville ou la Villa La Grange ont fait l'objet d'une telle surveillance « préventive », ajoute M. Ferrazino, « avec la présence continue de pompiers volontaires ». Le manque de forces de l'ordre a été incidemment reconnu par Laurent Moutinot, président du Conseil d'Etat. Le lendemain des premières casses, il a admis que l'allégement du dispositif sécuritaire autour de l'aéroport permettrait de remplumer les effectifs policiers en ville. Ce qui n'a visiblement pas suffi, puisque le rapport des observateurs note qu'à 23 h, dimanche 1er juin, « les forces de l'ordre se retirent et laissent pendant quarante-cinq minutes le terrain libre aux pilleurs et aux casseurs déchaînés dans le quartier de Bel-Air et des rues Basses ».

Le dispositif policier au retour de la grande manifestation du dimanche au centre-ville essuie aussi les critiques des parlementaires. Les multiples barrages dressés dans le quartier de Villereuse/Terrassière « nous paraissent difficilement compréhensibles », note le rapport de synthèse. Ils provoquent une « exacerbation de tensions et des affrontements violents ». « Alors que le carrefour de Rive se prêtait bien à un éparpillement de la foule », précise le socialiste Antoine Droin, « mettre tout le monde dans un entonnoir me semble être une stratégie pour le moins bizarre ».

VOUS ÊTES CERNÉS

D'autant que le bus qu'avait emprunté François Thion, socialiste, pour revenir de Thônex, « s'est arrêté au Cours-de-Rive par ordre de police ». Le député pense que « si les bus avaient pu circuler normalement sur la ligne 12 ou 16, de nombreux manifestants auraient évité de se retrouver à Rive devant les barrages de police ».

Sur le pont du Mont-Blanc, lundi 2 juin au soir, la tactique policière provoque aussi des remarques. Si le débat a jusqu'alors porté sur la présence - inopinée pour certains - du conseiller d'Etat Charles Beer et sur le rôle de médiateurs endossé par les observateurs parlementaires, ces derniers focalisent sur d'autres problèmes. Ainsi un barrage de police au bas de la rue du Mont-Blanc s'est-il retrouvé coincé par des manifestants arrivant dans son dos, comme la veille un autre barrage avait aussi été pris à revers à la rue de la Terrassière, indique le socialiste Carlo Sommarugga.

Autre point commun entre les deux situations souligné par le rapport: l'absence d'information de la police envers les manifestants qu'elle bloque. Sur le pont le lundi, ces derniers n'ont « aucun contact avec la police », remarque la synthèse du rapport. Un élément tiré des notes du socialiste Alain Charbonnier. Ce soir-là, le chef de la police lui a expliqué souhaiter que « les manifestants sortent par des barrages filtrants », écrit-il, mais les « personnes présentes dans le blocus » n'ont « pas reçu cette information de la part de la police ».

PAS LES MÊMES ORDRES

La socialiste Alexandra Gobet Winiger pointe un autre dysfonctionnement. Un inspecteur de la police judiciaire aurait évoqué, pour expliquer des différences de comportements entre agents, qu'« il pourrait ne pas avoir les mêmes ordres » que les policiers en uniforme, car les deux corps « ne les reçoivent pas du même chef ». Enfin, le dispositif policier ne semblait pas cohérent ce soir-là, un des barrages barrant le quai des Bergues étant notoirement plus faible que les autres. Le rapport de Christian Brunier cite l'officier commandant ce groupe: « Si la police zurichoise charge d'en face, les manifestants risquent de foncer sur les policiers genevois, incapables de reculer. » « Nous serons obligés de tirer », aurait dit ce policier.

Ainsi, si des députés admettent avoir outrepassé la simple observation des faits pour se muer en médiateurs dans ces moments tendus, le rapport assure qu'« ils n'ont pris aucune initiative susceptible d'entraver le travail des forces de l'ordre », mais ont facilité les contacts. Il n'empêche que la droite veut leur peau et a déposé une motion invitant le Conseil d'Etat à « condamner publiquement de tels comportements » et à « obtenir des explications publiques » de la part des élus concernés.

Mais ces partis oublient aussi que certains observateurs sont également sortis de leur rôle passif « dans le bon sens ». Pour « aider la police à se repositionner à bon escient », note Antoine Droin, ou pour « informer la police étrangère sur les pièges de tel ou tel emplacement »... Pour éviter la casse d'une pompe à essence à Thônex, quand Anne Mahrer et Sylvia Leuenberger (toutes deux des Verts) « ont discuté avec de jeunes Italiens qui n'avaient pas l'air très net et qui sont partis sans rien faire ».

Ou encore quand la police s'est retirée des rues Basses entre 17 h et 17 h 30 dimanche 1er juin, obligeant Guy Mettan à intervenir pour « empêcher quelques jeunes de briser les vitrines de Photo Service et des Jouets Weber », puis à se « poster » devant une vitrine fracassée pour « empêcher le pillage ». En fait, conclut anonymement un député démocrate-chrétien, « dans ces moments d'improvisation, tout le monde a un peu merdé... »


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