« Il y a eu plus de casse que nous ne le pensions »
Le Matin 12 juin 2003
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PIERRE AEPLI Il souligne la responsabilité de certains leaders altermondialistes face à la violence, dénonce les lourdeurs du fédéralisme et préconise des réformes pour la police. Il s'attendrit enfin sur la naissance, un jour de G8, de sa petite-fille Anthéa

CAROLINE ZINGG

Son mandat de coordinateur romand pour la sécurité du G8, Pierre Aepli l'a trouvé « passionnant mais un peu frustrant ». L'ex-chef de la police vaudoise a dû jongler entre les comités et les commissions tout en se contentant d'observer un événement qui l'a surpris par sa violence. Avant de publier un rapport final, il jette un regard critique sur les débordements liés au G8. Et annonce que après un peu de repos, il s'attaquera à l'épineux dossier de la réorganisation du Service pénitentiaire vaudois, mission pour laquelle il vient d'être nommé par le conseiller d'Etat Jean-Claude Mermoud.

Comment avez-vous vécu le G8?

J'étais à Genève, dans un PC séparé. Nous avons suivi les événements en direct avec émotion, vu la tournure qu'ils prenaient. Il y a eu à Genève beaucoup plus de casse que ce que nous pensions. C'était un peu comme si tous les efforts qui avaient été fournis l'avaient été en vain.

Quelle est votre analyse de ces événements?

J'ai été surpris par le mélange des genres. La manif, pour laquelle des accords avaient été passés, s'est assez bien déroulée. Mais les casseurs n'ont pas été neutralisés, et c'est devenu, plus tard, une sorte de guérilla urbaine qui a pris des allures de spectacle. C'était très étrange et surtout dangereux. Nous nous sommes retrouvés dans une situation de grande ville à la française, comme Strasbourg. Cela préfigure-t-il l'avenir? C'est une question qui se pose réellement.

Les altermondialistes ont-ils une part de responsabilité?

Il y a trois niveaux de protagonistes: les premiers sont ceux qui ont manifesté pacifiquement. Les seconds sont très ambigus: ils proclament une volonté pacifique de manifester et concluent des accords à cet effet. Mais ils se dédouanent de tout ce qui se passe ensuite et vont même plus loin en le récupérant ou en l'excusant, au nom de théories fumeuses et d'arguments de parfaite mauvaise foi. A Lausanne, les organisateurs ont été plus responsables. En revanche, à Genève, les déclarations de certains leaders anti-G8 sont scandaleuses. En justifiant la violence, ces gens portent une responsabilité directe dans sa diffusion. Ils rejettent bien entendu la faute sur les autorités et sur la police, qui a pourtant été d'une grande retenue. Et surtout, ils ne font aucune autocritique. En plus des casseurs « idéologisés », il y a les petites frappes qui n'ont aucune motivation politique. Ce qui fait mal, c'est que les responsables des deux parties avaient tenté de désamorcer les choses en négociant.

Remettez-vous en cause les accords entre autorités et antimondialistes?

Non, c'est une pratique positive qui a donné de bons résultats. Mais c'est une situation un peu perverse dans laquelle les autorités se sont surtout lié les mains. Et je pense qu'on ne peut arriver à réduire un problème que si les deux côtés ont un discours franc. Que l'on négocie, mette en place des services de sécurité internes, c'est bien, mais on doit aller plus loin. Que la police soit présente et qu'elle encadre certains éléments du cortège, cela doit non seulement être accepté par les organisateurs, mais encore coordonné avec eux.

La police ne retarde-t-elle pas d'une guerre?

Les formes qu'ont prises ces manifestations montrent que notre notion de service d'ordre pour contenir, empêcher, ne suffit pas. Il y a d'autres tactiques à développer sur la base de ce que font les Allemands: se projeter en avant afin de pouvoir s'emparer de certains manifestants.-

La police genevoise a évoqué la lourdeur des équipements antiémeute face à la rapidité des casseurs.

La police genevoise avait plusieurs missions. La stratégie est toujours adaptée à la situation et à un certain climat. Celui dans lequel nous avons préparé le G8 est encore « suisse ». Pourtant, Genève a évolué dans un climat « européen ». Si l'on estime que la menace a changé, quelques révisions déchirantes me paraissent indispensables, dans certains domaines comme la doctrine, l'équipement, la formation, les renseignements, la législation.

Quelles réformes préconisez-vous?

Le système de sécurité suisse doit être revu et cela ne date pas du G8. Tout ce qui peut favoriser la collaboration des polices doit être mis en œuvre. Il faut aussi se demander si on ne doit pas aller beaucoup plus loin, en créant pour de tels cas un état-major supracantonal. Je pense qu'il est aussi indispensable d'avoir une force de 1000 hommes environ, qui pourrait être mobilisée rapidement. Ces hommes seraient « cantonalisés » et renforceraient les polices dans leurs tâches normales. On éviterait par là une police fédérale dont on peut se demander à quoi elle servirait, car on n'a pas des manifs tous les jours. Les structures doivent aussi être repensées pour mettre en place des chaînes de commandement beaucoup plus simples. Quand vous n'avez pas des individus qui prennent les décisions, mais des collèges, c'est très complexe.

Etes-vous partisan, comme certains, d'un durcissement de la loi?

Nous devons disposer d'une législation mieux adaptée qui permette à la police d'intervenir préventivement, sur la base de meilleures informations et qui soit à même de rendre les sanctions effectives.

Et maintenant, qu'allez-vous faire?

J'ai besoin de souffler un peu. Je vais donc partir en Suède quelques jours. Après, j'ai été nommé par l'Etat de Vaud à la présidence du comité de pilotage pour la réorganisation du système pénitentiaire. Et puis, je vais aussi m'occuper de ma petite-fille, née pendant le G8. Elle était dans les bras de ma fille Sabine, sur le balcon de la maternité, lors de la manif du 29 mai à Lausanne. Son prénom? Anthéa, ce qui veut dire petite fleur, en grec.


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