La police accuse l'Usine avant la fin de l'enquête
Paru le : 12 juin 2003 http://www.lecourrier.ch/Selection/sel2003_495.htm

G8 · Le chef de la police genevoise se joint aux attaques que les libéraux ont lancées contre le centre culturel alternatif. En anticipant les résultats des investigations.

PROPOS RECUEILLIS PAR
FABIO LO VERSO

Le chef par intérim de la police genevoise, Christian Cudré-Mauroux, persiste et signe: l'Usine a bel et bien servi de base arrière aux casseurs qui ont dévasté la ville avant la grande marche contre le G8, le 1er juin dernier à Genève. Alors qu'une enquête judiciaire est en cours, dans le cadre d'une procédure ouverte par le procureur général, le haut fonctionnaire coupe court: le centre culturel alternatif a joué un rôle dans la vague de déprédations qui a secoué la ville. Peu importe, alors, si les investigations doivent encore aboutir et que, jusqu'à ce moment-là, la présomption d'innocence devrait être garantie.

Le Courrier: Après Micheline Spoerri et le Parti libéral genevois, vous avez déclaré que l'Usine a été la « base de départ » des casseurs qui ont commis des déprédations samedi soir1.

Christian Cudré-Mauroux: C'est exact.

Quelles en sont les preuves?

- Une enquête est en cours, dans le cadre de la procédure générale ouverte par le procureur général. Elle va déterminer quelles ont été les responsabilités du collectif de l'Usine. La seule chose objectivement prouvable est que la place des Volontaires a été le point de convergence des casseurs.

Donc, actuellement, tout ce qu'on peut dire, c'est que les casseurs ont été vus en train de se diriger vers la place des Volontaires, située entre l'Usine, le restaurant des Forces motrices et le Bâtiment des Forces motrices...

- Là, on fait de la cosmétique.

C'est-à-dire?

- S'ils se sont réunis à cet endroit, c'est qu'il y a une raison. Ne pouvaient-ils pas aller au parc des Bastions? Le choix de la place des Volontaires n'est pas anodin. Et puis, feriez-vous le rapprochement entre les casseurs et le bâtiment des Forces motrices ou le restaurant?

Durant la perquisition de la police à l'Usine, le 1er juin, vous n'avez pas trouvé ce que vous souhaitiez. Qu'en est-il de la fouille au fond du Rhône, dans les eaux jouxtant le bâtiment du centre culturel2?

- Au moment des faits, le 1er juin, le débit de l'eau était trop élevé. Quand nous avons effectué la fouille, quelques jours après, nous n'avons trouvé que très peu de choses. Rien de vraiment intéressant.

Je reviens à la question principale. A l'heure actuelle, vous n'avez pas d'éléments prouvant la collaboration présumée - par la police et le département de Micheline Spoerri - entre l'Usine et les casseurs. Pourquoi affirmer que le centre est complice de ceux qui ont commis des déprédations en ville?

- Je vous rappelle qu'une enquête judiciaire est en cours. Je ne voudrais pas prétériter les éléments de l'enquête.

Vous ne prétéritez peut-être pas le travail des investigateurs, mais vous anticipez les conclusions de l'enquête.

- Pourquoi vous vous intéressez à l'Usine? Quel est votre but? Montrer que l'on diabolise le centre culturel? Quoi donc?

C'est l'action des autorités qui nous intéresse. L'analyse qu'on peut en faire actuellement est que le chef de la police a violé la présomption d'innocence et anticipé les conclusions de l'enquête.

- Ecoutez. En termes factuels, tout se passe entre le samedi soir 31 mai, et le dimanche 1er juin. Les casseurs qui ont sévi le samedi ont pris le chemin de l'Usine. Nous ne sommes plus dans une dialectique de contestation. Cela n'a plus rien à voir avec le G8. Il s'agit d'un problème de police. Notre but est d'identifier les casseurs et leurs complices. Je vous rappelle que le procureur général a donné l'ordre de perquisitionner le bâtiment, en ayant en sa possession des éléments lui permettant de le faire.

Deux heures avant la perquisition, en intervenant au journal télévisé, Micheline Spoerri a fait, la première, le lien entre les casseurs et l'Usine3. En deux heures, ceux-ci auront eu largement le temps d'évacuer toute preuve de leur présence dans les locaux du centre. La déclaration de la conseillère d'Etat n'a-t-elle pas, disons, contrarié le chef de la police?

- Je n'ai pas entendu la déclaration de Micheline Spoerri.

Après coup, jugez-vous qu'elle ait pu porter préjudice à l'action de la police et, aussi, à celle du Parquet?

- Je n'ai pas à commenter après coup les prises de position des politiques.

Vous avez pris vos fonctions en avril. Avez-vous pris connaissance du dossier concernant les événements de 1998, lors du cinquantenaire de l'OMC?

- Oui j'ai lu le dossier. Je crois que la police a tenu compte des enseignements de 1998. Mais les événements qui viennent de se dérouler ont une toute autre dimension. Leur durée a été plus longue et leur intensité plus élevée. Les moyens mis en place ont été logiquement plus importants.

Malgré ces moyens « plus importants », et les enseignements que vous affirmez avoir tirés des émeutes de 1998, les forces de l'ordre ont été dépassées par les événements et n'ont pas été capables de bloquer une centaine de casseurs.

- Genève avait à sa disposition environ 2200 policiers, y compris les agents allemands. Plus de 1000 ont été affectés à l'aéroport, environ 300 aux organisations internationales. Voilà les effectifs disponibles pour protéger la ville.

A l'époque, la police avait investi le site d'Artamis. Vous en souvenez-vous?

- Oui. J'étais à Genève cette année-là.

Le commandant de la police de l'époque, Laurent Walpen, avait pris le soin de faire le distinguo entre Artamis et les émeutiers en refusant tout amalgame4.

- Je vous rappelle les faits. Les casseurs, samedi 31 mai, ont suivi un ordre de frappe bien précis - les rues Basses, d'abord, symbole du pouvoir économique, l'Hôtel de Ville, après, symbole du pouvoir politique, etc. J'ai dit qu'il y avait une logique. Et j'ai déclaré que les casseurs sont revenus à leur base de départ, l'Usine.

Micheline Spoerri a affirmé que les casseurs étaient aussi partis de l'Usine. Que dit la police?

- Nous savons qu'une centaine de casseurs sont sortis de l'Usine, le samedi soir du 31 mai.

Précédemment, vous avez déclaré que la seule chose objectivement prouvable est que la place des Volontaires a été le point de convergence des casseurs.

- Nous avons pu recueillir le témoignage de certaines personnes, parmi lesquelles les habitants du quartier qui ont vu les casseurs entrer et sortir de l'Usine...

Mais les témoins ont très bien pu voir des policiers habillés en casseurs et les habitants du quartier pourraient avoir tout intérêt à vouloir la disparition de l'Usine.

- J'allais terminer ma phrase en précisant qu'il s'agit d'un « ensemble » d'informations, recoupées entre celles qui ont été fournies par les services de renseignement de la police, les témoins et les agents ordinaires.

>1 dimanche.ch, 8 juin 2003.
2 Le Courrier, 5 juin 2003.
3 « On sait très bien que les casseurs sont partis de l'Usine, milieu culturel bien connu à Genève, et qu'ils se sont refondus dans les milieux de l'Usine. » Micheline Spoerri, dimanche 1er juin, au 19:30 de la TSR.
4 « Rentrer sur Artamis était effectivement lourd de conséquences. (...). En intervenant, on prenait le risque de les désigner comme coupables. Mais, par sa géographie, ce lieu était devenu une sorte de recyclage des manifestants. Ils rentraient d'un côté, se changeaient et ressortaient de l'autre. Ce n'est pas Artamis qui était visé. » Laurent Walpen, extrait d'un entretien accordé à L'Hebdo et paru dans l'édition du 28 mai 1998.

L'Usine ne réagit pas

« Nous n'avons pas hébergé de casseurs », déclare Florian Faivre, de l'Association Usine. « Nous ne sommes pas responsables de ce qui se passe en dehors de nos murs. Nous n'avons pas été entendus par la police, et n'avons pas été reçus par le Conseil d'Etat. » Face aux accusations dont il fait l'objet, le centre culturel n'entend pas ajouter un mot de plus, ne voulant pas se prononcer, lui, avant la fin des investigations. Le collectif se dit, en revanche, offusqué par les propos tenus dans la Tribune de Genève1 par le président du Parti libéral genevois qui, tout en ne désirant pas que l'Usine soit fermée, se demande « s'il faudrait que l'on continue à subventionner l'association ». Les responsables du centre culturel débattront des attaques portées par les libéraux lors de la prochaine réunion de gestion. FLo

1 Tribune de Genève, 11 juin 2003.


media reports | evian reports | www.agp.org (archives) | www.all4all.org