Le Forum social lémanique réclame la fin du « putsch policier »
Paru le : 5 juin 2003 http://www.lecourrier.ch/Selection/sel2003_470.htm

ÉTAT D'EXCEPTION · La coalition altermondialiste appelle à manifester vendredi à Plainpalais contre les « tabassages » de ces derniers jours et pour le droit d'expression.

BENITO PEREZ

« Le Conseil d'Etat doit reprendre ses esprits et lever immédiatement l'état d'exception! » Ulcéré par l'interdiction de manifester prononcée mardi par le Conseil d'Etat et par le procureur général, le Forum social lémanique (FSL) a vigoureusement contre-attaqué hier. La coalition altermondialiste a notamment appelé à un rassemblement vendredi à Plainpalais, autour de la Pierre du 9 novembre. Elle y réclamera le respect du droit d'expression et dénoncera la répression policière de ces derniers jours. Les manifestants demanderont également la démission de la cheffe de la Police, Micheline Spoerri.

Les militants du FSL sont particulièrement remontés contre la répression exercée mardi soir dans le quartier de Plainpalais. Journalistes molestés, manifestants pacifiques et badauds matraqués, arrestations arbitraires et violentes, Legal Team entravé (lire ci-dessous), les accusations fusent. Une « répression extrêmement brutale » que rien ne justifiait, selon Eric Decarro. « La manifestation était calme, aucune déprédation n'a été commise », témoigne le président du Syndicat suisse des services publics.

« CARTE BLANCHE » À LA POLICE

En cause, donc, l'interdiction de manifester « prononcée une heure avant la manifestation » sans que l'information n'ait pu être relayée. « Le Conseil d'Etat a cédé à la pression de la police et lui a donné carte blanche », accuse M. Decarro.

Plus grave encore, insiste le syndicaliste: cet « état d'exception » a été décrété pour une période indéterminée. « C'est, à notre connaissance, la première fois qu'une telle mesure est prise en Suisse depuis la Deuxième Guerre mondiale! » « C'est un putsch policier », tonne à son tour Leila Batou. « La police n'a pas à faire justice elle-même, ce n'est pas dans son mandat. »

Une « justice » pour le moins expéditive puisque, selon la militante, des « escadrons armés de barres à mine » se sont livrés à divers tabassages indiscriminés. Face à la presse, un caméraman brésilien a notamment décrit comment cinq policiers l'ont frappé, tordu les bras, volé sa cassette, alors qu'il filmait une passante blessée. Une version corroborée par les images d'un reporter allemand diffusées hier.

L'usage des matraques à hauteur de tête, de « bâtons tactiques »1, de bombes assourdissantes - « lancées sur des personnes! » - de gaz lacrymogène dans l'eau des canons contre une « manifestation fantôme » a aussi fortement choqué les militants.

Mais leur courroux ne s'arrête pas aux événements de mardi. Dès dimanche, « Mme Spoerri a fait publiquement l'amalgame entre casseurs et altermondialistes », regrette le FSL. Pis, avant-hier à la TSR, elle a légitimé l'emploi d'armes à feu contre des manifestants, les traitant, de fait, « comme des criminels ». Face à ce « comportement irresponsable », le FSL demande au Conseil d'Etat de se désolidariser de la magistrate libérale.

La violence n'a toutefois pas été que verbale. Dès la fin de la manifestation de dimanche, la « montée en puissance » des forces de l'ordre, selon les mots de la cheffe de la Police, a été « désastreuse », estime M. Decarro. A l'image des barrages opposés par les policiers aux manifestants pacifiques revenant de Thônex-Vallard. Une « provocation » suivie de multiples dérapages, dont l'un aurait pu connaître une issue fatale (lire ci-dessous).

Dernière cible des altermondialistes: la TSR, qui leur a refusé l'accès au plateau mardi, en pleine vague répressive. Parallèlement, son présentateur-vedette, Darius Rochebin, accusait les Black Blocs d'être des assassins potentiels. La réplique fuse: « Ces derniers jours, les seuls à s'être attaqués à des personnes et fait deux blessés graves sont les policiers! »

1 Tonfas ou bâtons télescopiques.

Photographe attaqué à la grenade

On a évité de très peu le drame, dimanche après-midi, à Genève. Un photographe britannique indépendant, Guy Smallman, a été grièvement blessé à une jambe par une « bombe » assourdissante. « Si la grenade avait touché la tête, il serait mort », relève un témoin de la scène. L'affaire n'a pourtant pas fait grand bruit, si ce n'est dans des médias anglais, tels que le Guardian ou Indymedia-UK, pour lequel travaille ce reporter de 31 ans. Or tous les témoins que nous avons entendus sont formels: il s'agit d'une bavure. « Nous revenions tranquillement de la manifestation sur la route de Malagnou, quand nous sommes arrivés près d'un cordon policier à la hauteur du Muséum. » La tension monte rapidement et la police - allemande - donne l'assaut. Des bombes assourdissantes sont tirées. Comme les manifestants, le journaliste s'enfuit vers Villereuse, lorsqu'il est atteint au mollet. « On lui a tiré dessus quatre à six grenades. Il était à dix mètres des policiers. C'est un crime! » Pour preuve, l'activiste présente une grenade « à percussion » ramassée sur le terrain et pesant des centaines de grammes... Si l'on a évité le pire, M. Smallman a toutefois dû être opéré d'urgence pendant deux heures à l'Hôpital cantonal. « L'ambulance est venue une heure plus tard et les policiers n'ont apporté aucune aide », accuse un témoin. Un autre insiste pourtant sur la gravité de la blessure: « Son mollet a perdu au moins 200 grammes de muscle et des nerfs ont été sectionnés. Mercredi, le site Indymedia-UK apportait des nouvelles rassurantes: M. Smallman devrait retrouver d'ici à une année sa mobilité. La Fédération suisse des journalistes et l'Union britannique des journalistes (NUJ) ont aussi dénoncé cette agression.


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