La gabegie policière finit en fête nocturne
Paru le : 4 juin 2003 http://www.lecourrier.ch/Selection/sel2003_467.htm

LUNDI· Retour sur les événements confus de lundi soir. Ou quand la cheffe de la Police sème la gabegie... et la fête!

BENITO PEREZ

L'aberrante « stratégie » policière d'avant-hier soir1 aura animé les rues de Genève jusqu'à près de 3 h du matin, lorsque le dernier carré des manifestants antirépression s'est dispersé dans le calme. Retour sur une manif pas commune.

Tout a commencé lundi vers 15 h quand des anti-G8 s'attroupent vers le siège de l'OMC pour protester contre la privatisation de l'eau. Bon enfant, la manifestation est encadrée par des centaines de policiers.

Des rumeurs de violences se répandent dans la ville. Attisées par un appel à manifester contre la répression policière de la veille. Le rendez-vous est fixé à 18 h, place Neuve. Dans la panique, le rectorat donne l'ordre d'évacuer les bâtiments universitaires, tandis que des commerces et des administrations sont fermées.

Aucun incident n'est toutefois signalé. Vers 18 h 15, plusieurs centaines de personnes s'attroupent comme prévu sous la statue du général Dufour. Objectif: rejoindre les manifestants sis devant l'OMC. Une première jonction s'effectue cependant à Cornavin, avec quelque 200 manifestants venus à la rencontre. On bifurque vers le pont du Mont-Blanc pour prendre la police à revers et continuer vers l'OMC le long du lac. Peine perdue: au bas de la rue du Mont-Blanc, les quelque 500 manifestants pacifiques sont pris en tenaille par les forces de l'ordre. Ils prennent le parti de faire un sit-in festif. Danse, djembés et slogans entrent en scène.

Des négociations s'engagent, Christian Pasquier, porte-parole des forces de l'ordre, tente de désamorcer la crise avec l'aide des militants les plus aguerris. Mais le commandement de la police exige la fouille de tous les manifestants. Réunis en conclave, ceux-ci refusent, unanimes.

KERMESSE POPULAIRE

Pendant ce temps, des milliers de badauds s'amassent près des barrages policiers, notamment côté gare. Certains prennent parti en faveur des manifestants, tandis que les Legroup se chargent de mettre de l'ambiance. C'est au tour des policiers d'être encerclés. Pris à leur propre piège.

Legal Team, médias, observateurs parlementaires sont présents en nombre; trop de témoins pour une répression brutale.

Vers 21 h 30, la police accepte de laisser partir les manifestants vers la place Neuve sans fouille, en passant par Rive et le boulevard Helvétique. Mais Micheline Spoerri met son veto.

A 22 h, au haut-parleur, un policier fixe un ultimatum aux manifestants. La tension est à son comble. Christian Brunnier annonce alors que les parlementaires ne négocieront plus et réclame la démission de la cheffe de la police.

Près de la gare, les bouteilles en plastique et les insultes pleuvent sur les forces de l'ordre. Des deux côtés des cordons de policiers, les manifestants scandent « Genève avec nous ». La police tente de repousser la manif de soutien et les badauds. Elle tire aussi des balles en caoutchouc sur le sit-in du pont et arrête trois personnes couchées près d'elle!

CHARLES BEER À LA MANIF

Retournement de situation vers 23 h, avec l'arrivée au pont du Mont-Blanc du conseiller d'Etat Charles Beer. Le socialiste obtient de la police le rétablissement de l'accord.

Mais les manifestants encerclés hésitent à leur tour, car leurs collègues de la gare viennent de se faire charger violemment. Grenades lacrymogènes ou assourdissantes, balles en caoutchouc, jets d'eau, l'attaque est indiscriminée. Des badauds sont pris à partie, dispersés avec les manifestants qui arrosent les forces de l'ordre de bouteilles de bière. Trois vitrines feront les frais de jeunes ados pris dans le tumulte.

Des groupes se reforment de-ci de-là. Dont les Legroup qui commencent à mettre le feu - pacifiquement - à Saint-Gervais, rapidement rejoints par une centaine de manifestants-fêtards.

Pendant ce temps-là, les 500 encerclés se sont décidés à traverser le pont, avec les observateurs et Charles Beer en tête de cortège! Les policiers leur ouvrent le passage, les poussant vers... la rue du Rhône.

Mais ses luxueux magasins n'ont rien à craindre, l'ambiance est à la street party. Dans un bruit assourdissant, le cortège rejoint la place Neuve. On y attend l'arrivée de véhicules pour rapatrier les personnes logeant aux campings d'Annemasse et de Vessy. L'ambiance est détendue malgré la présence de centaines de policiers.

CORTÈGE... POLICIER

Soudain ceux-ci quittent les abords de la place. Quelques minutes plus tard, la tension remonte lorsqu'une dizaine de cars de policiers - dont deux arborent des drapeaux de la paix - arrivent sur la place depuis Plainpalais et tournent en sarabande autour des manifestants avant de repartir d'où ils étaient venus...

Au départ des Français, les derniers irréductibles partent rejoindre leurs collègues bloqués à Saint-Gervais par la police. Mais le barrage policier a déjà cédé et la jonction s'opère à la place Bel-Air. Qui voit des scènes de liesse inhabituelles: dans le sillage des Legroup déchaînés, des manifestants applaudissent les policiers postés derrière la Tour de l'Ile et bardés de drapeaux arc-en-ciel, d'autres les embrassent sur le casque ou se prennent en photo avec des pandores surpris mais ravis...

La joyeuse sarabande rejoindra à nouveau la place Neuve pour un dernier concert. Il est près de 3 h du matin lorsque les Legroup jettent définitivement l'éponge. La manif-fête est finie. BPz

1 Notre édition d'hier.


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