L'Usine réagit: « La descente de police est illégale »
Paru le : 3 juin 2003 http://www.lecourrier.ch/Selection/sel2003_461.htm

INSPECTION · Des artistes « fouillés et menottés » témoignent. Le collectif demande la démission de Micheline Spoerri, en charge du département de justice, police et sécurité.

FABIO LO VERSO

L'« inspection » de la police à l'Usine, intervenue dimanche soir, a été filmée. Les images ont été montrées, hier, aux journalistes convoqués dans la salle du cinéma Spoutnik. Le film dure quatre minutes. On y voit des flics en habits civils, le visage masqué. On pourrait les confondre avec des casseurs. On distingue à peine le brassard orange portant la mention « police », alors que le regard est attiré par les matraques que les agents tiennent à la main. « Il s'agit d'un modèle télescopique, c'est-à-dire dépliable, en acier noir », expliquera plus tard un connaisseur. « Une arme diablement efficace ». Une personne, qui a été frappée à la tête à l'entrée du bâtiment, en a fait l'amère expérience. Cet « accident » n'a pas été filmé. Le récit de

a victime, livré au Courrier, a été cependant corroboré par divers témoins.

L'incursion - d'autres l'appelleraient une « descente » - a été conduite par les agents en civil, qui ont enfoncé la grande porte d'entrée, tandis que les « robocop » de la police genevoise dressaient un mur d'hommes interdisant l'accès aux journalistes, accourus à la place des Volontaires. A l'intérieur, les policiers ont investi tous les étages, ont pénétré dans les locaux de « Geneva 03 livestream », télévision online alternative animée par le réseau d'information Indymedia, menotté onze journalistes, et vérifié l'identité des personnes présentes, agissant nerveusement comme s'ils avaient affaire à de dangereux délinquants.

AGENTS MASQUÉS RECONNUS

Un témoin1 raconte: « Nous nous sommes enfermés dans une petite pièce, au 4e étage. Les policiers ont cassé le verrou, nous ont fouillé et enfilé des menottes en plastique. » Les ateliers de l'Usine étaient fréquentés, lors des événements, par les artistes y travaillant. Certains ont reconnu les policiers. « Ils étaient tous genevois. Nous les connaissons bien », dit notre témoin. « Ils sont venus masqués pour ne pas se faire reconnaître. »

La police a occupé les lieux pendant plus d'une heure. Les personnes menottées ont été libérées sur place. Selon d'autres témoignages, cinq d'entre elles, dont une journaliste allemande, ont été embarquées dans les fourgons des forces de l'ordre. Elles n'ont pas été conduites au poste de police, elles ont été relâchées dans la campagne genevoise, alors qu'il faisait nuit. Les agents n'ont rien trouvé dans les locaux de l'Usine pouvant justifier leur descente. « On ne voit pas ce qu'ils sont venus chercher. Nous n'abritons pas de casseurs, nous n'avons pas d'armes, cocktails incendiaires ou barres en métal », s'irrite Ulf Lindqvist, du collectif de l'Usine.

PRÉJUDICE INACCEPTABLE

Pour leur part, les responsables du centre culturel autogéré ont décidé de réagir fermement contre une inspection qu'ils qualifient de « proprement inacceptable ». « L'Usine demande la démission de Micheline Spoerri », cheffe du Département de justice, police et sécurité, déclare Kate Riedy. La plainte du collectif dénonce la tentative des autorités de « ternir l'image » de la scène culturelle alternative genevoise. « L'intervention policière porte préjudice à notre activité. Elle fragilise notre position, alors que nous négocions le renouvellement de la convention avec la ville de Genève. » La déclaration de la conseillère d'Etat au journal télévisé de la TSR, deux heures auparavant, agite les esprits des membres du collectif. Elle y théorise un « rapprochement infondé »: « On sait très bien que les casseurs qui sont venus hier sur Genève sont des casseurs qui sont partis de l'Usine, milieu culturel bien connu à Genève, et qu'ils se sont refondus dans les milieux de l'Usine »2.

1 Ce témoin, qui a requis l'anonymat, est connu par la rédaction du Courrier.
2 Micheline Spoerri, le dimanche 1er juin, au 19h30 de la TSR.


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