De très nombreux débats et forums ont été organisés ces derniers jours à Genève, Lausanne et Annemasse par des mouvements altermondialistes.

L'espace d'un week-end, le bassin lémanique s'est mué en petit Porto Alegre
Paru le : 3 juin 2003 http://www.lecourrier.ch/Selection/sel2003_457.htm

Le long week-end de l'Ascension, en prélude à la grande manifestation altermondialiste de dimanche, de très nombreux débats et réunions ont animé les principaux centres de l'anti-G8, Genève, Lausanne et Annemasse. Echos..

PHILIPPE CHEVALIER

Pour la première fois, un « Tribunal de la dette et des réparations » s'est tenu dans un pays du Nord. Un public nombreux participait samedi à la rencontre organisée à l'Université de Genève sous l'égide du Comité pour l'annulation de la dette du Tiers-monde (CADTM), en présence de représentants d'une vingtaine de pays venus pour la plupart d'Afrique et d'Amérique latine.

En février 2002, le « Tribunal international des peuples sur la dette », réuni à Porto Alegre, déclarait « odieuse », « nulle » et « illégitime », la dette contractée par les pays du Sud envers leurs créanciers du Nord. Pour ne prendre qu'un exemple, on estime que la dette irakienne - y compris les réparations de guerre portées à son compte - se monte aujourd'hui à 383 milliards de dollars, selon Wathab Al-Sadi, président du Forum irakien de France. Ce qui fait de l'Irak le pays le plus endetté de la planète.

Répartie entre 24,5 millions de personnes la dette reviendrait à plus de 15 000 dollars par tête, soit cent fois leur revenu annuel moyen1 La rente pétrolière elle-même, d'après les meilleurs scénarios, ne représenterait que quelques pour-cent du total. Avec un tel fardeau, l'avenir de l'Irak n'est plus seulement hypothéqué, estime Alejandro Teitelbaum, membre de l'Association américaine des juristes démocrates, il est « déterminé ».

Qui plus est, ces créances sont constituées pour l'essentiel d'achat d'armes, considérées comme illégales par la communauté internationale, soit les mêmes pays qui en réclament le payement.

FAIBLESSES DU DROIT

Pour l'ensemble des participants ainsi que la salle, il est temps de mettre fin à ce diabolique mécanisme d'exploitation et d'appauvrissement qu'est la dette. Avocat des plaignants contre 22 multinationales complices de l'Apartheid, Charles Abraham, dénonce la duplicité du droit international, qui connaît, selon lui, une « crise très grave ».

On assiste à une prolifération de normes, de standards internationaux condamnant les crimes de guerre, de génocide, d'esclavage et autres crimes économiques. Mais en parallèle, la communauté internationale accorde toujours plus de poids aux institutions multilatérales, telles la Banque mondiale (BM) ou le Fonds monétaire international (FMI) qui « menacent directement les premières ». Ainsi « les aides financières massives accordées par ces dernières, en 1966, au gouvernement raciste sud-africain, lui a permis de commettre ses crimes horribles ». Ce qui n'enlève pas la responsabilité, d'ailleurs, aux banques suisses, allemandes, anglaises et américaines qui ont aussi joué leur rôle, explique l'avocat.

TALON D'ACHILLE CAPITALISTE

Alejandro Teitelbaum, avocat à charge lors du procès de la dette à Porto Alegre, ne croit pas au secours du droit international - même réformé - pour soulager les pays du Sud de leurs 3700 milliards de dollars de dettes cumulées. Il lui suffit pour se décourager de penser à la session du Conseil de sécurité des Nations Unies du 22 mai dernier, lors de laquelle tous les pays présents ont avalisé l'agression de l'Irak et ont confié son contrôle politique aux Etats-Unis.

L'homme de loi croit en revanche aux capacités de la société civile, à condition qu'elle atteigne le « talon d'Achille » du système capitaliste. Par exemple en organisant le boycott de produits symboliques, comme Coca-Cola. Autre point faible du monstre: les médicaments. Sous la pression des opinions publiques, les trente entreprises en procès avec l'Afrique du Sud avaient fini par plier, rappelle-t-il. Enfin, M. Teitelbaum imagine affaiblir le capitalisme nord-américain, en privilégiant les échanges en euro plutôt qu'en dollar.

TRAHISON DE LULA

Tout ça est bien joli, semble dire Eric Toussaint, mais nettement insuffisant. « La seule solution », dixit le président du CADTM, c'est la décision unilatérale des pays endettés de mettre fin au service de la dette. » Pour ceux qui pensent que c'est impossible, M. Toussaint rappelle qu'il y a eu des précédents (voir ci-contre). Et le président brésilien Luiz Inacio « Lula » da Silva n'avait-il pas inscrit ce projet à son programme? Pour finalement le remiser dans un tiroir, cédant à la pression des opérateurs financiers. Une reculade que beaucoup ne lui ont pas pardonné, d'ailleurs, dont de nombreuses personnes présentes hier à la tribune et dans la salle. Il n'empêche, c'était et cela reste jouable, estime-t-il.

Au terme de cette journée où des orateurs de tous horizons ont illustré le caractère criminel de la dette qui pèse sur les pays du Sud, Eric Toussaint à conclu à l'obligation morale pour les gouvernements du Nord de renoncer à des « créances fictives », tandis que ceux du Sud doivent cesser de contribuer à un « endettement illicite ». Enfin, il a invité les mouvements sociaux de redoubler leur pression sur eux. Lors d'une autre occasion, il faudra élargir le débat, a-t-il souhaité, aux exigences de rétrocession des avoirs spoliés aux populations des pays endettés et débattre, in fine, de la répartition des richesses...

>1 Selon le site www.jubileeiraq.org.

Les pays qui ont refusé de payer une dette « odieuse »

Au XIXe siècle est née la doctrine de la « dette odieuse ». Elle dit que les dettes contractées par un régime despotique contre les intérêts de sa population tombent en même temps que celui-ci. Quelques pays l'ont invoquées, soit pour eux-mêmes soit à l'égard d'un pays conquis. Alejandro Teitelbaum rapporte que le 10 avril dernier, lors d'une réunion des ministres des Finances préparant le G8, les Etats-Unis ont fait mine de vouloir l'appliquer à l'Irak. Il s'agissait d'un bluff visant la Russie, la France et l'Allemagne et leurs intérêts pétroliers dans la région. Le risque de créer un précédent les a toutefois empêché d'aller plus loin. Pourtant, des précédents il y en a eu, explique Eric Toussaint, citant quelques exemples.


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