« Je suis un précaire en colère »
Paru le : 2 juin 2003 http://www.lecourrier.ch/Selection/sel2003_448.htm

INTERVIEW · Les Black Blocs effraient. L'aura de mystère qui les entoure contribue à alimenter la peur. Qui sont-ils? Nous avons tenté de l'apprendre par l'un d'entre eux.

FABIO LO VERSO

D'où venez-vous? Haussement d'épaules. Êtes-vous anglais, allemands, italiens? Silence. Le cortège vient de quitter le pont du Mont-Blanc. Une cinquantaine de Black Blocs se greffent à la foule de manifestants qui ondule en direction de Rive. Ils sont jeunes pour la plupart. Très jeunes. Et très méfiants. « Ils viennent de Zurich », lâche l'un d'entre eux, avant de filer à l'anglaise. Son camarade confirme: « La majorité vient de Zurich », avant de s'éloigner rapidement. Mais les ordres sont donnés en français. Vos chefs seraient-ils français ou suisses romands? Silence. Haussement d'épaules. Personne ne veut parler. Ou presque.

Vous êtes suisse romand ou suisse allemand?

- Suisse romand.

On m'a dit que la majorité des Black Blocs venaient de Zurich.

- Je ne sais pas.

Mais vous vous connaissez bien entre vous? Y a-t-il une organisation qui gère votre venue à Genève?

- Je ne parle pas aux flics.

Je ne suis pas flic. Je suis journaliste.

- Quel média?

Le Courrier, quotidien de Genève.

- Ah, ce truc-là.

Oui, ce truc-là.

- Qu'est-ce que tu fous ici?

Je travaille. Et toi, tu as un boulot?

- Tu parles. Je suis un précaire. Un précaire en colère. Je n'ai rien. Pas de boulot. Pas de logement. Rien. Et je déteste les journalistes. Tu sais ce que je leur dis, aux journalistes?

Je n'en ai pas la moindre idée.

- Allez-vous faire foutre.

C'est ton opinion personnelle ou c'est un mot d'ordre des Black Bloks?

- Ce n'est pas une consigne. C'est un principe. C'est mon principe à moi. Je hais les flics et les journalistes.

D'accord, ce n'est pas une consigne, mais vous, les Black Blocs, avez-vous des mots d'ordre?

- Non. Chacun agit de son côté. Chacun a sa haine et sa colère. Pas de mots d'ordre.

Les Black Bloks n'ont pas de chef, alors?

- Non. Mais arrête de me poser des questions. Plutôt, tu as quelque chose à me donner?

Je ne comprends pas.

- Tu as un job, tu as un bon salaire. Tu n'as pas quelque chose à me donner? Du fric, des trucs...

Je n'ai rien à te donner. Désolé, je n'ai pas d'argent sur moi.

- Tu n'as rien à faire ici. Tu as un boulot, un bon salaire. Ici, c'est la réalité, la vraie. Celle des précaires, des chômeurs. Le désespoir, pas d'avenir. Tu vois ce que je veux dire...

Tu ne trouves pas de boulot?

- Je n'ai pas envie de travailler. Je ne veux pas me faire entuber par le système.

Excuse-moi, mon téléphone sonne. Je réponds vite et, après, on continue cette conversation.

- Va te faire foutre.


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