Démission (commentaire)
Paru le : 3 juin 2003 http://www.lecourrier.ch/Commentaires/Com2003_081.htm

MANUEL GRANDJEAN

Sur certaines palissades, des militants anti-G8 ont écrit « Genève=Gênes ». Même si l'allusion aux émeutes et à la répression policière qui ont accompagné la précédente réunion européenne des pays riches en 2001 est pour l'instant exagérée, les événements du week-end rendent la comparaison possible.

Avant d'expliquer pourquoi, il faut d'abord apporter une précision essentielle. Les vandales qui ont ravagé Genève (et Lausanne) n'ont rien à voir avec le mouvement altermondialiste. Ils en sont le cancer. Ils n'expriment aucune contestation politique, ne ciblent pas leurs attaques mais détruisent tout ce qui se trouve sur leur passage, n'ont aucun idéal à défendre. Ce sont des crapules opportunistes. Certains liens avec des mouvements d'extrême-droite ont été évoqués. Et des policiers ont revêtu la tenue des casseurs pour certaines opérations (photo Indymedia). De quoi semer une confusion certaine. De plus, dimanche, les casseurs ont systématiquement agressé le service d'ordre ou les manifestants pacifiques qui tentaient de les contenir.

Si la force publique s'est montrée incapable de préserver les rues de Genève, elle a aussi révélé son incapacité totale à protéger les manifestants pacifiques des voyous infiltrés.

Bien pis, les autorités policières et certains politiques ont systématiquement entretenu l'amalgame entre les altermondialistes et les casseurs. Dans le discours et dans l'action.

Invitée au téléjournal de 19h30 dimanche, la conseillère d'Etat en charge du Département de justice, police et sécurité, Micheline Spoerri, n'a pas hésité à justifier l'inaction de la police, notamment dans la nuit de samedi à dimanche - par le prétendu respect des accords conclus avec le Forum social. Ce faisant, elle indique que, pour elle, manifestants pacifiques et casseurs forment un tout indissociable qu'il faudra dorénavant réprimer durement. Elle occulte le fait que ces accords - portant sur la discrétion policière - ne concernaient que la manifestation officielle et les blocages matinaux, événements qui se sont déroulés sans heurts. Rien n'empêchait de protéger la ville la nuit, de pourchasser et d'arrêter les émeutiers.

Enfin, quand Mme Spoerri décide de changer de tactique, elle annonce - à l'avance au téléjournal! - qu'une opération va être lancée contre l'Usine, haut lieu de la culture alternative genevoise. A quelques centaines de mètres de là, les vandales mettent à sac l'Hôtel des finances: ils ne seront pas inquiétés. A l'Usine, il n'y a évidemment pas de casseurs, mais les médiactivistes qui assurent sur internet la diffusion en direct de tous les événements.

Cet épisode rappelle furieusement les événements de Gênes, où les casseurs avaient pu sévir librement, alors que le centre altermondialiste de l'école Diaz avait été sauvagement attaqué par la police.

Malgré le « vibrant et solennel hommage » qu'a rendu hier en conférence de presse Mme Spoerri aux forces de l'ordre, le bilan policier du week-end est pitoyable. De la casse pour des millions, seule vingt-cinq personnes inculpées (combien de coupables?), des innocents blessés ou molestés.

La responsabilité de ce gâchis ne revient pas forcément aux forces de police elles-mêmes. Dans l'ensemble, elles ont accompli sans trop de bavures les tâches qui leur étaient assignées. Attribuer la charge aux organisateurs de la manifestation pacifique - comme Mme Spoerri et les partis bourgeois tentent de le faire - est un scandale politique. Non, la faute est imputable au commandement des forces de l'ordre et en premier lieu à la cheffe du département concerné. C'est à ce niveau que la modalité d'engagement des forces de l'ordre a été décidée.

De deux choses l'une.

Soit cette gestion catastrophique est due à l'incompétence de Mme Spoerri. Quiconque suit ses interventions publiques est fortement tenté par cette hypothèse...

Soit il s'agit d'une stratégie établie pour justifier à l'avenir une tolérance zéro envers toute opposition. Hier, la conseillère d'Etat annonçait que l'« angélisme et les slogans ne sont plus de mise ». Plus prosaïquement, le chef de la police, Christian Cudré-Mauroux, annonçait un changement de doctrine d'intervention: dorénavant, la police agira « beaucoup plus énergiquement ». Laisser faire pour ensuite justifier une répression plus sévère: la technique n'est pas nouvelle.

« La République sortira mûrie et grandie de cette épreuve », estime Mme Spoerri, sûre que « des enseignements précieux pour l'avenir » seront tirés. La première des leçons, c'est que la conseillère d'Etat libérale n'est pas à sa place à la tête de la police.


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