La manif lausannoise (presque) calme
Paru le : 30 mai 2003 http://www.lecourrier.ch/Selection/sel2003_424.htm

Jérôme Cachin,
Luc-olivier Erard
La liberté

Gros nuages noirs sur Lausanne. Lorsqu'à 18 h 15, des milliers de manifestants prennent le départ de la place Bellerive, le ciel se déchire et la plus grosse pluie du mois de mai s'abat sur eux. « Météo nationale, météo du capital! », lance alors la tête du cortège, comme pour conjurer le sort.

Une heure plus tôt, sur la place Bellerive, la foule était encore clairsemée. On avait érigé le « mur de la honte » devant les rangées de containers coifés de barbelés qui délimitent la zone de sécurité. Un mur bien modeste: un panneau de bois de 3,6 mètres. Certains organisateurs le surnomment même le « mur de la honte », tellement il fait pâle figure à côté de la barrière métallique installée par les forces de l'ordre depuis quelques jours. Au milieu du panneau, un militant pro-palestinien a inscrit en arabe: « Palestine et Irak libres ». Tout autour de l'énorme slogan, on en lit d'autres, plus ou moins pacifistes: « La paix pour tous les enfants du monde », « Tuons le capitalisme ».

Les jeunes sont nombreux, on voit aussi des familles, des membres du syndicat Comedia, du Mouvement pour le socialisme, du Parti communiste ouvrier turc, quelques Italiens de Rifondazione communista. Les membres du forum alternatif Oulala, installés à Dorigny, sont venus avec un camion et une sono pour faire un petit « antisexiste carnaval contre le capitalisme ». Les drapeau arc-en-ciel pour la paix sont nombreux. On note un drapeau jurassien, un seul.

FUSÉES SUR LA BCV

Sous la pluie, les manifestants pressent le pas. Quand la tête du cortège atteint la place de Milan, derrière sa banderole « G8: pas de sommet pour l'injustice », la grêle se met même à tomber. La fête continue pourtant. Plus haut, sur le pont Chauderon, certains chantent l'Internationale.

Peu après 19 h, place Chauderon, quelques dizaines de personnes s'écartent du tracé officiel pour se diriger vers la BCV. Visages masqués, on comprend vite leurs intentions: s'en prendre au vénérable bâtiment dont toutes les vitrines sont protégées par des palissades. Ou est-ce la vue des fourgons de police placés dans la rue latérale qui provoque ce mouvement? Toujours est-il qu'une trentaine de policiers anti-émeutes se déploient devant la banque, peu après avoir tiré un coup de semonce, une sorte de gros pétard qui a fait sursauter tout le monde. Sur la façade de la BCV, quatre ou cinq fusées vertes s'échouent. Parallèlement, un autre groupe d'une trentaine de jeunes, dont seulement une poignée masqués, profitent de l'occasion pour injurier la police. Des mottes de terre, quelques cailloux et un grand pot de fleurs volent sur les hommes. Puis le service d'autoprotection des anti-G8 s'interpose. Les esprits, peu à peu, se calment. La queue du cortège, elle, est déjà passée.

LES POULETTES ONT RÉUSSI

Devant l'église du Valentin, une scène similaire se produit. Les policiers sont restés en retrait. Et le service d'autoprotection (avec ses T-shirts marqué d'un « Poulette » qui singe le logo de la police lausannoise) semble là aussi avoir rempli son rôle: s'interposer entre des grappes de casseurs potentiels et la police. De source policière à 20 h, aucune personne n'était interpellée ou arrêtée.

CHIFFRES TRÈS DIVERGENTS

Combien de manifestants sont arrivés sur la place de la Riponne, où la fête devait battre son plein jusqu'à 2 h du matin? Moins de 3000 selon les observateurs officiels postés le long du parcours, 4000 selon la police, 12 000 selon les organisateurs... « Les gens ont réacquis le droit de manifester après Davos », se réjouit Nanda Ingrosso, du comité vaudois anti-G8.

Les observateurs rentrent presque bredouilles

DIDIER ESTOPPEY

Jamais manifestation lausannoise n'aura été placée sous si haute surveillance. Nuées de policiers, de journalistes... Et une petite trentaine d'observateurs neutres placés tout au long du parcours.

C'est vers 17 heures, sous la supervision du député écologiste Luc Recordon, que tout ce petit monde est parti prendre son poste. Ambiance sereine, malgré les craintes liées à l'arrivée un peu chahutée, en début d'après-midi, de manifestants bernois, ou les rumeurs entendues l'autre jour au Grand Conseil: des groupes organisés se prépareraient à la casse.

La manifestation démarre avec un petit quart d'heure de retard. Les premiers échos sont rassurants: aucun incident à signaler. Un petit pas de course plus tard, on rejoint deux observateurs installés dans des bureaux avec une vue imprenable sur la place de la Gare. Sous une pluie battante, les forces de police se mettent en place, protégeant notamment un restaurant spécialisé dans l'alimentation rapide...

Mais en prenant bien soin de rester invisibles des manifestants.

Le défilé montre le bout de son nez et ses premières banderoles, souvent utilisées comme... parapluies. Dix minutes plus tard, dans un calme presque olympien, et sans la moindre tentative de certains groupes de quitter l'itinéraire prévu, le dernier manifestant a montré son dos. Commentaire presque dépité d'un locataire du poste d'observation: « On dirait la fête des écoles, mais en plus court... »

Retour au poste de commandement. Les observateurs placés sur la fin du parcours débriefent. On note juste quelques face-à-face tendus avec la police, place Chauderon puis aux abords de celle de la Riponne. Mais les choses rentrent rapidement dans l'ordre. Plusieurs observateurs notent l'excellent travail du service d'ordre interne à la manifestation.

On respire et on rentre chez soi, en espérant que les choses se passent aussi bien lors de la manifestation de dimanche. Et que de petits groupes ne quittent pas la fête, prévue jusque tard dans la nuit à la Riponne, pour aller « chercher » la police. Plus que la manifestation, celle-ci aura su, avec les nombreux commerces barricadés, donner ses couleurs à la ville. Pourtant éloigné du parcours du défilé, le Lausanne-Palace, victime de déprédations le 1er Mai, était rendu presque invisible par les rangées de fourgons blindés et de policiers le protégeant. Plus loin, à un autre point stratégique, près d'un autre point de vente de hamburgers et de frites, c'est trois fourgons obligeamment prêtés par l'armée, répondant au doux nom de code de « Pingu », qui se tenaient à l'affût derrière trois cordons de policiers en tenues de combat. Mais d'ombre d'un manifestant, point. Commentaire ironique d'un passant: « On peut rentrer dormir tranquilles ». DEy


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