« On vient pour contester mais aussi pour s'amuser » (30/05/2003)
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Photo Pierre Abensur

Les altermondialistes étaient plusieurs milliers hier en fin d'après-midi à Annemasse.

ANNEMASSE/LIONEL CHIUCH

Une belle Esmeralda danse au clair de lune. Tandis qu'elle se déhanche dans sa robe rose légère, le type derrière le bar ouvre grand les bras et lance à la cantonade: "Je vous aime".

Woodstock 69? Larzac 71? Non, Annemasse 2003. Les cheveux ont repoussé, les utopies aussi. Mais ces dernières ne font plus allégeance à la rhétorique politique. Le monde nouveau se méfie des vieilles idées. Dans le village intergalactique, répartis en "barrios" (quartiers) selon les provenances, les affinités et parfois simplement le hasard, seule la figure tutélaire de Che Guevara, qui pousse ici et là au gré des nostalgies, rappelle que de tout temps des individus se sont élevés contre le pouvoir en place. La contestation n'est pas non plus une affaire d'âge. A un jeune homme qui s'étonne de voir qu'elle est venue avec son père, une adolescente rétorque en riant: "Il est super-cool. Mon père, c'est un vieux baba..."

Une "autre" politique

En ce mercredi soir qui précède la grande migration, ils ne sont que quelques centaines, venus d'Europe, mais aussi du Canada et des Etats-Unis, à investir les terrains mis à disposition par la commune de Cranves-Sales, non loin de l'aérodrome d'Annemasse. Yves, qui assure la surveillance à l'entrée, se remet peu à peu d'une première nuit agitée. "Pour le moment, ça se passe plutôt bien. Il y a juste un type qui a roulé sur le tuyau d'approvisionnement d'eau, mais on a pu réparer". Lui, ce qui l'agace, c'est Bush. Et puis les coups de pieds des CRS qui, lorsqu'il lui arrive de dormir dans la rue ou dans un wagon désaffecté, le tirent du sommeil sans ménagement. "J'ai 31 ans, et si j'ai des enfants, je voudrais que ça se passe autrement pour eux", explique-t-il.

Autrement? C'est aussi le propos de la quarantaine de Hollandais venus dans un grand bus rouge. On les sent décidés et très organisés. La bibliothèque qu'ils ont dressée sur une table en plein air comprend tout un attirail de revues consacrées à une "autre" politique des transports, de la lutte contre le sida ou de l'alimentation. A la cantine, où chacun participe avec entrain, on ne sert que des produits bio.

Autogestion obligatoire

Plus loin, regroupés sous une toile tendue entre deux camionnettes, un petit groupe fait griller des merguez sur fond de musique techno. "On est là à 50% pour protester contre le G8 et à 50% pour s'amuser", confie Jean-Claude. Son pote, étudiant en sociologie à Lyon, considère que le village rassemble des personnes "qui mettent en commun des revendications individuelles". La guerre en Irak, la mondialisation économique, les enjeux sociaux en France... le panel des récriminations est vaste et déborde le seul Sommet d'Evian.

"C'est le système libéral qui est en cause", commente un jeune Marseillais accompagné de sa copine. Le couple fait une pause sous un grand panneau publicitaire, en pleine zone commerciale. Insolite contraste entre le discours et le décor. "Je suis à Attac, explique la jeune fille. C'est un rassemblement, pas un parti: on se sent moins contraint". La seule contrainte, c'est l'autogestion. Le règlement du campement stipule que chacun doit mettre la main à la pâte, assumer ses responsabilités. Ce qui ne va pas sans quelques cafouillages: jeudi à midi, malgré les premiers gros arrivages, le bar du camping n'était toujours pas approvisionné. Les deux villages se sont aussi "opposés" sur la manière de gérer l'unique voie d'accès. Finalement, elle a été fermée aux véhicules à moteur.

"L'autre soir, une voiture a déboulé à fond sur le chemin, raconte Julien. Dedans, il y avait des types avec une caméra. Peut-être des CRS..." Les images volées, ici, on n'aime pas trop. Une équipe de télé française, qui filmait tous azimuts, s'est fait virer sous les quolibets. Mais tout cela reste bon enfant. A l'exception de quelques survols d'hélico, les forces de l'ordre ont adopté profil bas. Et tout le monde espère bien que ça va durer. Pour que la fête soit belle, que le dialogue s'instaure dans la sérénité et qu'Esmeralda continue à rouler des hanches.


Bové en selle

CATHY TROGRANCIC

C'est un peloton de cyclos "engagés" qui s'est attaqué hier à la redoutable montée du viaduc des Egratz, à Passy. Parti du Fayet à la mi-journée, le cortège, dans lequel avaient pris place bon nombre de représentants d'associations de tous les massifs montagneux, s'est progressivement gonflé au fil des points de ravitaillement, pour totaliser en fin de course quelque 1500 participants. Maillot jaune de la contestation (même s'il arborait pour l'occasion le tee-shirt rouge et blanc des anticamions), José Bové tenait absolument à pointer ses moustaches pour cette première manifestation contre le G8. "Ce rassemblement bon enfant, à vélo, a prouvé que les anti-G8 ont surtout envie d'être joyeux, tout en contestant un modèle économique qu'un petit club très fermé veut nous imposer. On essaie de criminaliser le mouvement pour une autre mondialisation. Aujourd'hui les vrais provocateurs ce sont les Etats qui ont déployé tout cet arsenal de manière aussi imposante."


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