La village anarchiste campe sur les bords de l'Arve (29/05/2003)
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Photo Laurent Guiraud

A Vessy, on prend ses marques et ses distances vis-à-vis de la manif de dimanche. Reportage.

FEDELE MENDICINO

Vu de l'extérieur, on croirait à une répétition générale, en miniature, du camping de Paléo. Une dizaine de tentes au bord de l'Arve, un feu de camp, quelques chiens bâtards et les battements lents d'un vieux tam-tam. Mais à y voir de plus près, le village alternatif de Vessy n'a rien d'un dortoir à la belle étoile pour amateurs de feuilles de vigne et de petites fleurs. Derrière un désordre de façade se cache un système réfléchi "d'autogestion" en vigueur depuis l'ouverture du site samedi dernier.

"On n'est pas des hippies peace, drogue and love, précise Gilles, squatter invétéré et locataire du lieu baptisé la Zaage (Zone autogérée à Genève). Je me considère néohippie pour me distancer de cette image vieillotte." La Zaage, c'est surtout un projet anarcho-syndicaliste qui accueillait hier après midi une cinquantaine d'habitants en majorité genevois. Une mobilisation pour l'instant peu spectaculaire. Hier après-midi, une partie d'entre eux ont rejoint les militants lausannois pour la première manifestation anti-G8.

"D'ici à samedi, on sera peut-être 100... ou 2000, lance Vincent, un des pionniers du projet. Nous ne sommes pas tous des anti-G8. D'ailleurs la Zaage n'ira pas en bloc protester contre le Sommet." En fait, le mouvement profite surtout de cette occasion pour appliquer ses préceptes libertaires. "Mais si des personnes veulent aller manifester dimanche, elles sont libres." Libre, le maître-mot est lâché. Ici chacun s'affiche libre mais responsable. "Tout le monde fait ce qu'il veut, la vaisselle, le tri de déchets ou la collecte de nourriture. Chacun participe aux dépenses selon ses moyens. Un équilibre naturel s'instaure de lui-même." De quoi faire rougir de plaisir un libéral... "Non, eux sont pour la libre entreprise et l'argent. Chez nous, il n'y a pas de hiérarchie."

Menu végétarien

Les yeux humides, François découpe les oignons pour le repas du soir. Il s'en prendra ensuite au cageot débordant de panais. "On est allé acheter ces légumes chez des producteurs locaux." Des produits indispensables en raison des convictions végétariennes de plusieurs membres de la Zaage. Les autres pourront compter aujourd'hui sur la générosité d'un passant. "Un type qui est venu nous donner deux gros gigots d'agneau. En plus, des boulangeries du centre-ville nous offrent aussi leurs produits."

Assemblée générale

Soudain, un quinquagénaire, au style BCBG, s'approche du camp. La méfiance ne durera pas longemps. L'homme visiblement ému cherche son chien. Mais les membres de la Zaage ne peuvent rien pour lui. "Pas grave, je vous soutiens les jeunes! Mon père a fait deux ans de prison en Espagne sous Franco." Une jeune dame a eu moins de succès quelques heures plus tôt. Lorsqu'elle s'est mise à défendre Brigitte Bardot, la réaction a aussitôt fusé. "BB, elle est fâcho! Mais nous aussi on aime les animaux", ricane Paul en sortant un rat dissumulé sous son pull. Les sourcils se fronçant de dégoût, la promeneuse n'est pas restée longtemps. "En général, les gens sont sympas. Une mère de famille est même venue hier avec ses enfants pour leur montrer qu'on n'était pas des méchants casseurs." Sur la route, une patrouille de police fait sa tournée....

Le soir autour du feu, les convives dégustent la soupe de panais dans un concert d'aboiements excités. Jenny, une vendeuse suédoise de 21 ans vient d'arriver avec Niklas, son compagnon. Le couple a parcouru des milliers de kilomètres pour participer aux blocages pacifistes. "En Suède, les anars discutent beaucoup. A Genève, ils font au moins quelque chose avec ce village." Günter, un informaticien antifasciste de Düsseldorf, estime que le socialisme a échoué faute d'avoir été socialiste: "Et le capitalisme mourra d'avoir été capitaliste."

23h10, mercredi soir. Une fois le repas terminé, l'assemblée générale quotidienne peut débuter. Chacun peut s'exprimer, à condition d'écouter les autres, de lever la main et d'attendre son tour. Au programme des discussions, la manifestation d'hier à Lausanne, celle de ce matin à Genève, des conseils beaucoup plus pratiques sur l'utilisation de l'eau ou la mise en place de panneaux d'informations. Quelqu'un propose même d'entamer une discussion sur le marxisme, l'anarchisme et le communisme. Pas ce soir décide l'assemblée.

Minuit passé. François caresse son tam-tam, Paul souffle dans son didjeridoo. Un peu plus, les sons chauds d'un accordéon. "On fait la fête maintenant, lance Vincent. Pour la participation aux repas et aux boissons chacun met ce qu'il veut. Abandonnez donc le système monétaire... dans notre crousille." A 0h30, les notes de musique ont noyé les grondements de l'Arve.


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