« Depuis 1980, l'agressivité des casseurs s'atténue » (27/05/2003)
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PHILIPPE RODRIK

"Depuis 1980, l'agressivité des casseurs tend à s'atténuer à Zurich. La concurrence accrue entre télévisions et radios me paraît toutefois encourager le spectacle du vandalisme. Elle favorise en outre la présence de voyeurs sur le terrain même des opérations de destruction", estime l'ancien conseiller municipal des bords de la Limmat, Hans Frick.

L'ex-magistrat de l'Alliance des indépendants ne prétend pas s'être livré à quelque observation scientifique. Il se fie à ses souvenirs, à ses émotions. A Zurich, Hans Frick a dirigé le Département de la police de 1970 à 1990. Il a ainsi dû assumer, de 1980 à 1982, les interventions de police les plus dures que la Suisse ait connues après-guerre. Face à la presse et au conseil communal, il a parfois été contraint de rendre des comptes sur des coups de matraque, des lésions et des traumatismes injustifiables.

A droite, Hans Frick passa pour un mou, voire un irresponsable, lorsqu'un jour il s'est permis d'accorder une autorisation de manifester, en dépit de l'interdiction recommandée par le Conseil d'Etat. A gauche, on le considéra volontiers comme la couverture de flics cogneurs. Il n'empêche que l'ex-employé de banque a été élu à cinq reprises au Stadtrat. Et son dicastère n'attirait pas les voix dans cette période si trouble. En plus, personne ne convoitait le Département de la police au sein du Municipal. "Pas même le représentant de l'UDC (Union démocratique du centre)", plaisante Hans Frick.

Etape décisive

Le retraité estime aujourd'hui que la manif du 30mai 1980 a marqué une étape décisive. Quelques centaines de jeunes gens étaient rassemblés devant l'opéra, juste avant une première. Ils étaient venus chicaner le spectateur bourgeois, en lançant des tomates et des oeufs sur les tailleurs Chanel et les costards Dormeuil. Les manifestants dénonçaient ainsi les investissements culturels conservateurs de la Municipalité. Ils revendiquaient en outre le bâtiment de la Rote Fabrik, propriété de la Ville, pour en faire un centre autonome.

La police a rapidement dispersé les plaisantins. "Ces derniers se sont alors mués en vandales proprement déchaînés, relate Hans Frick. Ils se sont rassemblés dans le Niederdorf et ont soigneusement démoli un maximum de vitrines. La maréchaussée répliquait avec force gaz lacrymogènes et balles en caoutchouc. A l'époque, les manifestants ne pillaient guère les arcades. Et ils se montraient plus enclins à détruire qu'à s'en prendre aux policiers eux-mêmes." Cette remarque s'est avérée encore plus exacte le 24 décembre 1980. En cette nuit de Noël, une foule de manifestants avaient cerné sept gendarmes enfermés dans un bâtiment du Sihlquai. Ils n'ont pas manqué de terroriser les agents, mais il ne les ont pas attaqués.

Au début des années quatre-vingt, à Zurich, les heurts entre manifestants et forces de l'ordre se sont néanmoins révélés très durs. Des affrontements pouvaient même se répéter deux à trois fois par semaine, pendant plusieurs mois. "En ce temps-là, les participants me paraissaient beaucoup plus enclins à la violence qu'aujourd'hui. Ils étaient en plus soutenus par une part significative de la population, favorable à la reconnaissance du droit à une culture autonome. Pour le reste, le comportement des manifestants ne me semble pas avoir connu d'évolution particulière. Les polices ne cessent en revanche de perfectionner leurs moyens techniques", relève Hans Frick.


Vandale sans préméditation

P.Rk.

L'an dernier, la Ville de Zurich a décidé de ne plus se contenter de réprimer. Les autorités se sont donné les moyens d'analyser la violence et le vandalisme perpétrés lors de manifestations. La Municipalité a ainsi sollicité une étude de l'Institut socio-pédagogique de l'Université de Zurich, menée par le professeur Reinhard Fatke.

Les quelque 140 personnes arrêtées au cours de la "Nachdemo" du 1er mai 2002 ont été directement impliquées dans ce travail. Les prévenus ont volontairement répondu par écrit à diverses questions des chercheurs et ont participé à des entretiens. Les conclusions de cette étude devraient être rendues publiques à la fin juin.

Le chef du Département de la police, Esther Maurer, insiste néanmoins depuis un an déjà sur un point fondamental: les profils de casseurs sont variés. Du coup, un démolisseur de bancomat n'est pas forcément sensible à la Fête du travail, ni même hostile à la mondialisation des marchés. Un "black bloc" peut, en outre, apprécié un bon hamburger pour reprendre des forces après avoir brisé deux ou trois vitrines de fast-food. S'il se sent emporté par la dynamique de l'instant, l'individu devient même parfois casseur par hasard, sans préméditation. Le principal destructeur de l'entrée de l'Hôtel Lausanne-Palace devait faire partie de cette dernière catégorie, selon le porte-parole de la police lausannoise Christian Séchaud.

De façon empirique, les milieux politico-médiatiques des bords de la Limmat ont encore défini récemment un nouveau profil de manifestant-saccageur. Il s'agit du "secondo", c'est-à-dire un enfant d'immigrés poussé au vandalisme par ses difficultés d'intégration et ses frustrations sociales. Mais les principaux concernés, comme leurs camarades moins étrangers ou même foncièrement helvètes, se montrent souvent ulcérés par cette dénomination. Ils lui trouvent une connotation xénophobe, car, à leur avis, les tracas socioprofessionnels sont répartis de plus en plus équitablement entre les jeunes, quelles que soient leurs origines. Ils rappellent aussi que, de nos jours, au moins un Suisse sur deux a des liens avec d'autres cultures et d'autres nationalités.


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