Faut-il être contre le G8? (26/05/2003)
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Photo Pascal Frautschi

SERGE BIMPAGE/JEAN-FRANÇOIS MABUT

Le G8 se réunit du 1er au 3 juin. Une nouvelle occasion de manifester pour les altermondialistes. Deux arguments viennent en première ligne. Celui de la légitimité du G8 d'abord, qui ne représente que les pays les plus riches. Et celui de son fonctionnement ensuite, qui ne viserait qu'à renforcer ses propres intérêts tout en faisant mine de se soucier de ceux des autres. Jacques-Simon Eggly (à gauche sur la photo), conseiller national libéral, et Patrice Mugny, coprésident des Verts suisses, ont accepté de se rencontrer. Pacifiquement.

- Quelle est la légitimité du G8?

- Patrice Mugny. - Le G8 est composé de Gouvernements démocratiques. S'il a la légitimité de se réunir, il n'a pas celle de gouverner le monde! Le problème réside dans le fait que certains de ces gouvernements ont un pouvoir considérable. Ainsi à l'OMC, où il faut 85% des voix pour emporter une décision, les Etats-Unis en ont 17% à eux seuls. De sorte qu'ils peuvent bloquer tout ce qu'ils veulent quand ils ne sont pas d'accord. Quand les Américains alignent 400 experts, il n'y en a que quatre pour représenter plusieurs pays africains! Le rapport de force est inégal; cela pose un problème moral.

- Jacques-Simon Eggly.- Non seulement tous ces Etats ont une légitimité démocratique, mais ils en ont tout autant à se réunir pour parler des affaires du monde! Et cela, fussent-ils les pays les plus puissants économiquement! Je ne vois pas pourquoi on les disqualifierait à cause de cette puissance. Ils assument une vraie responsabilité. Il incombe au G8 - il faudrait dire au « G8 a 1 », car la Suisse est dans le coup - de favoriser les échanges qui garantissent à la fois notre propre prospérité et de meilleurs équilibres mondiaux. Ce G8 va d'ailleurs dialoguer avec bien d'autres pays que ses propres membres. Il y a aura des discussions sur les remises de dettes, l'environnement, la santé...

- Patrice Mugny.- Vous dites « notre » prospérité. Mais elle ne concerne qu'un milliard d'habitants favorisés contre cinq milliards défavorisés! On voit bien que toutes les résolutions prises ces dernières années n'ont jamais été appliquées. Les gens disent volontiers que le G8 a signé ceci ou cela à Kyoto. Or, les Etats-Unis n'ont rien signé du tout! En réalité, il se joue au G8 un drôle de jeu. Ils avaient promis de résoudre la question de la dette: ça n'est toujours pas fait. Un peu comme notre Conseil fédéral, qui annonce depuis 1992 vouloir consacrer 0,4% du PNB à l'aide au développement. Nous n'y sommes toujours pas. Prenez l'eau. Tout le monde en a besoin pour vivre. Les pays les plus puissants du monde pourraient décider que chaque citoyen y a accès.

Ce qui signifie des choix économiques et politiques. Exactement comme pour l'accès à certains médicaments. Eh bien, si rien ne se fait, c'est que le choix est clair de défendre de grandes entreprises propriétaires de l'eau dans certains pays.

- Jacques-Simon Eggly.- Ma foi, tout l'enjeu consiste à faire coïncider les intérêts de nos sociétés développées avec nos sentiments d'équité. Croyez-moi, ça n'est pas si simple. Pour l'eau, je suis tout à fait d'accord que le G8 a une responsabilité pour faire en sorte que par une pression internationale tous les citoyens aient accès à l'eau. Cela dit, les décisions ne sauraient se prendre sur la seule base de la mauvaise conscience des pays occidentaux. Elles doivent se prendre sur la conviction de la nécessité d'un équilibrage à long terme. Un tel processus prend du temps.

- Patrice Mugny.- J'aimerais revenir sur la légitimité. Certes, les représentants du G8 ont été élus démocratiquement. Mais quand G. W. Bush se pointe en représentant le Texas et le pétrole, cela veut dire quelque chose. Cela indique une certaine politique et pas une autre. Selon vous, tout se passerait comme si, parce que c'était démocratique, c'était juste. Non! Une personne élue démocratiquement peu se tromper. Ou défendre des intérêts qui ne sont pas ceux de la population.

- Jacques-Simon Eggly.- Renversons la perspective. Imaginons que tout ce que ferait le G8 serait faux. Cela n'enlèverait rigoureusement rien à son droit de se réunir. Le G8 est légitime. Vous devez l'admettre au nom de nos propres valeurs. La vraie question, et là je vous rejoins, est celle de savoir si ce qu'il produit est véritablement utile, efficace et approprié.

- Patrice Mugny.- Je répète que ces gens, bien qu'élus démocratiquement, agissent systématiquement contre la population mondiale dans sa majorité! Quand on exige de pays du tiers-monde, qui ne disposent que de petites structures publiques et sanitaires, qu'ils réduisent encore ces structures pour payer la dette et avoir enfin droit à de nouveaux emprunts, je dis qu'on s'en prend à la population. L'agenda officiel du G8 est chaque année magnifique. Tout le monde s'accorde à dire qu'il faut éradiquer la pauvreté, développer l'aide médicale et donner de l'eau et tout et tout. Or, dans les faits, il ne se passe rien!

Comment améliorer la gouvernance du monde?

Patrice Mugny.- Il n'y aurait pas besoin d'autre chose si le G8 agissait dans la transparence. Si le public était autorisé à suivre les débats. S'il existait des procès-verbaux. Or, tout s'y passe dans le secret. C'est exactement pareil pour l'OMC. L'ONU, elle, se réunit publiquement. Sauf qu'il ne s'y réalise pas grand-chose.

- Jacques-Simon Eggly.- Avant de répondre, je répète que ce n'est pas parce qu'on a une légitimité démocratique que cela donne le droit de se conduire mal. Je suis aussi d'accord pour dire que certaines interventions des Etats-Unis sont tout à fait critiquables. Cela étant, l'expérience montre bien que s'il n'y a pas de pression sur certains pays pour qu'ils pratiquent une politique économique et monétaire plus équilibrée, ils ne feront que s'enfoncer. Le meilleur équilibre ne passe pas par la charité mais par la stratégie.

- Patrice Mugny.- Parmi tous les pays désignés par les pays occidentaux et le FMI comme « bons élèves » ces dernières années, dites-moi lesquels s'en sont bien sortis. Tous se sont effondrés! Pour en revenir donc à la question posée, comme autre solution de « mise sous tutelle », nous devrions changer notre fusil d'épaule: nous devrions supprimer la dette pour les pays qui tendent véritablement vers la démocratie. Nous devrions prôner la souveraineté alimentaire. Arrêter d'ouvrir les frontières des pays qui n'ont pratiquement rien à exporter, de les inonder de ce que produisent nos marchés. Dans un autre registre, prenez l'accès aux soins. Les Etats-Unis se sont battus pour empêcher le Brésil de disposer de médicaments génériques qui auraient pu permettre de régler le problème du sida. Il faut en finir.

- Jacques-Simon Eggly.- Bien sûr qu'il y a des pistes à suivre dans ce sens. Mais ce n'est pas aussi simple. Il y a des conflits, des arbitrages et des règles qui ralen tissent les processus. On n'est pas dans un monde parfait. Il faut tendre à ce que les choses aillent mieux et pour cela il faut discuter. J'admets donc votre pression comme votre idéal mais pas vos méthodes. Je maintiens que les chemins de la politique et de la discussion conduisent à la voie du milieu.

- Patrice Mugny.- Discussion? Quand on constate les innombrables blocages au G8 de la part de la minorité des pays les plus puissants, je n'appelle pas ça des discussions!

- Jacques-Simon Eggly.- Il ne peut en être autrement! S'agissant d'échanges concernant l'économie mondiale, il ne saurait être question d'un équilibre démocratique qui correspondrait par exemple à la démographie, comme c'est le cas à l'ONU. Car, il y a un état de fait, une différence bel et bien réelle entre la puissance économique occidentale et la faiblesse des pays pauvres...

- Patrice Mugny.- C'est bien ce que je dis. Au G8, l'argent donne plus de pouvoir à un pays que sa démographie. L'argent vaut plus que les gens!


Les altermondialistes manquent-ils de relais démocratiques?

- Patrice Mugny. - Les manifestations ne sont pas là pour pallier une insuffisance. Elles constituent simplement un moyen supplémentaire de s'exprimer. Nous sommes minoritaires. Cela ne nous enlève pas le droit de nous exprimer.

- Jacques-Simon Eggly. - Encore faut-il que les manifestants soient clairs dans leur discours. Ils doivent admettre que le G8 est légitime. Même s'ils estiment que ce qui s'y fait est critiquable. Ils doivent affirmer que leur manifestation est pacifique et condamner à l'avance les casseurs éventuels. Enfin, ils doivent réaliser l'énorme responsabilité qui est la leur, sans la refiler aux autorités une fois que ça dérape !

- Patrice Mugny. - Les manifestants ne sont pas toujours « contre ». Ils ne l'étaient pas à Porto Allegre ni à Florence. Ils doivent certes diriger leur action et calmer les casseurs. Mais on ne peut pas leur demander de faire la police !

- Jacques-Simon Eggly. - Quand les manifestants tentent par tous les moyens d'empêcher les membres du G8 d'accéder aux forums, ils créent un problème !

- Patrice Mugny. - Mais j'espère bien qu'on va créer des problèmes !

- Jacques-Simon Eggly. - Vous créez un problème de fonctionnement. Si au moins il ne s'agissait pour les manifestants que de formuler des contre-opinions ...

- Patrice Mugny. - Vous vous moquez de moi ...

- Jacques-Simon Eggly. - Admettez que si vous perturbez le fonctionnement, vous prenez le risque du dérapage vers la violence.

- Patrice Mugny. - Je ne vois pas de violence à s'asseoir sur une route. C'est l'un des actes de la non-violence. Quoi qu'il en soit, les manifestants ne commettront jamais le millième des dégâts commis par les responsables « démocratiquement élus » qui ont des dizaines de milliers de morts sur la conscience !

- Jacques-Simon Eggly. - Vous flirtez avec une dangereuse dialectique. Celle qui consiste à justifier après coup les dégâts des casseurs. Selon vous, s'il y a de la violence, ça n'est jamais qu'une réaction légitime à la violence institutionnelle !

- Patrice Mugny. - Je n'ai jamais dit cela ! Je ne cesse de vous répéter que ces manifestations n'ont d'autre but qu'une réponse pacifiste et non violente à l'inutilité du G8.

Où serez-vous le 1 er juin ?

- Jacques-Simon Eggly. - Chez moi.

- Patrice Mugny. - A la manifestation. Mais, vers 10 heures, je serai au centre de protection civile où je devrai diriger l'intervention éventuelle des pompiers. J'entre en effet en fonction commme magistrat de la Ville de Genève ce dimanche.


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