L'altermondialisme repose sur la convictionque le capitalisme mourra un jour de ses excès (24/05/2003)
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ANTOINE MAURICE

L'altermondialisme est né de la mondialisation telle qu'elle commence à être perçue dans les années 1990. En 1994 la guérilla zapatiste du Chiapas sort de sa forêt au moment où entre en application l'accord continental de libre-échange Alena. Elle servira de pierre de touche à la résistance antimondialiste.

Deux regards. Pour définir ce qu'est la mondialisation, plusieurs regards sont possibles. Sous le regard géopolitique, en surplomb, la terre entière est mise en examen dans ses relations internationales. Pierre de Senarclens, professeur à l'Université de Lausanne, vient de publier Critique de la mondialisation aux Presses de Sciences-Po, Paris 2003. Il porte l'analyse sur les défaillances contemporaines de la régulation internationale, montrant de manière saisissante ce que le monde a perdu à cet égard depuis 1989. L'autre regard est tourné vers les retombées humaines subjectives du phénomène. Le marché met à vif les nerfs et parfois les chairs économiques, sociaux, culturels et même spirituels des sociétés humaines par des vagues de dérégulation. Les Etats, les partis, les intellectuels, les pays riches sont plutôt du côté du premier regard. Nombre d'ONG, les mouvements sociaux, les "ethnies", les paysans sont plutôt du côté du regard subjectif. Depuis la grand-messe Porto Alegre 2002-2003, l'antimondialisation est devenue l'altermondialisation.

Genèse. Il est plus facile d'esquisser une genèse de l'altermondialisation que d'en écrire l'histoire ou même la chronologie. Tant les organisations contestataires sont nombreuses et forment une forêt impénétrable de sigles.

La première source idéologique de l'altermondialisme se trouve dans le marxisme. Abattue en 1989, cette pensée, qui a marqué comme aucune autre le XXe siècle, n'a cependant pas rendu les armes devant le Mur de Berlin. Pierre Bourdieu parmi d'autres annonçait dès les années 90 qu'il faudrait restaurer la pensée de Marx et qu'elle avait de l'avenir. L'altermondialisme repose sur la conviction opiniâtre de la doctrine communiste que le capitalisme mourra un jour de ses excès.

Le gauchisme des années 70 aura été le véhicule privilégié de la pensée marxiste, fécondée par l'éclatement des sensibilités alternatives (1975-85). Quatre mouvances tiers-mondiste, écologiste, féministe et pacifiste se partagent la scène. Elles ont en commun de refuser la pente dominante du capitalisme, de chercher au minimum à le réformer et peut-être davantage. La sensibilité alternative, on le comprend dans les années 90, ce n'est ni le capitalisme ni le communisme, mais une autre voie que l'on va chercher dans l'altermondialisme. Le zapatisme écolo-guérillero-communautariste du Mexique donne le la en 1994.

A partir de la chute du Mur, l'antimondialisation s'organise non pas comme un résidu de ces pensées, mais comme une culture politique de synthèse qui s'articule en plusieurs refus: contre la "financiarisation" du capitalisme moderne, contre les échanges et l'inégalité structurels du monde entre le Nord et le Sud, contre le laminage des modes de vie, des cultures et des communautés, contre les effets incontrôlés de la science et de la technologie. Les valeurs positives sont celles du progressisme classique: la solidarité et l'égalité sociale passant devant la liberté.

La structure. L'organisation de la galaxie altermondialiste est sans doute ce qu'elle a de plus original. Hubert Landier, sociologue à Paris et responsable d'un organisme de Veille sociale, insiste sur un point: l'altermondialisme est la quintessence de l'organisation contemporaine en réseau. Cela veut dire qu'il n'y a pas une tête de la galaxie mais de multiples, que les rameaux sont variables et renaissants, que les mots d'ordre et les objectifs sont mouvants tout en se montrant opiniâtres. Enfin que le réseau est difficilement identifiable en tant qu'ennemi ou même partenaire: toutes les organisations le représentent, d'Attac à Greenpeace, mais personne n'est formellement mandaté.

Il y a donc une fluidité et une souplesse des structures, note M.Landier, qui s'oppose sociologiquement à l'Occident d'avant 1989: ses généraux entraînés à en combattre d'autres, ses entreprises fortement hiérarchisées, ses modes de faire qui valorisent la vitesse et l'accélération, alors que l'altermondilisation se présente comme un retardateur qui dit halte à l'inflation du monde, voir les sit-in et autres défilés interminables.


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