Samedi 23 Mai 1998, MOBILISATIONS CONTRE L'OMC

Un comité anti-répression demande un geste d'apaisement aux autorités

Après la conférence ministérielle de l'Organisation mondiale du commerce à Genève, l'heure est au bilan de la casse. Le "Comité anti-répression" veut recenser les dérapages policiers.

Un appel solennel au Gouvernement genevois à faire un "geste d'apaisement" a été lancé hier par l'Action mondiale des peuples (AMP) et le "comité anti-répression". Les deux groupes demandent la libération des personnes détenues n'ayant pas été prises en flagrant délit durant ces derniers jours d'échauffourées. En outre, afin de dresser la liste des blessés et des personnes arrêtées ou de collecter des témoignages, ce comité -rejoint par la Ligue suisse des droits de l'homme- a mis sur pied une permanence journalière1.

L'AMP a réaffirmé hier ses buts "largement occultés par l'état d'exception ayant secoué Genève depuis une semaine". Le député socialiste Dominique Hausser accuse l'Organisation mondiale du commerce (OMC) de ne passer que des accords commerciaux sans tenir compte des dimensions humaine, sociale ou environnementale. Le but de l'OMC, selon ses détracteurs, ne vise qu'à "enrichir les transnationales".

DES MORTS PAR DIZAINES

Le député a ainsi rappelé que les politiques du Fonds monétaire international, de la Banque mondiale ou de l'OMC débouchent "sur la mort de faim ou de maladies banales, chaque minute, de dizaines d'enfants". Il a conclu que la seule mondialisation acceptable est celle de la solidarité, réaffirmant que "l'AMP ne défend pas le pognon, mais la démocratie".

Se distançant des casses survenues cette semaine, le travailleur social Alain Riesen a relevé que les actions de l'AMP étaient pacifiques et bien maîtrisées. Bien plus, les leaders de l'AMP ont "tenté d'empêcher la violence" en demandant aux gens de rentrer chez eux. Il rejette donc l'amalgame entre la casse gratuite et les manifestations de contestation politique. Il a clairement affirmé son refus de toute violence -y compris à l'égard de policiers- "inacceptable dans la philosophie de l'AMP". Il en dénonce d'autant plus la brutalité de la police contre des gens "en majorité innocents". Il prend aussi le contre-pied des déclarations du gouvernement, lequel prétend défendre la liberté d'expression. "L'AMP a invité des délégations d'autres pays à venir protester contre l'OMC. Nos autorités les ont refoulées ou expulsées, les empêchant ainsi de manifester."

Toujours pour l'AMP, Olivier de Marcellus a stigmatisé le "mini état de siège" décrété par la police qui a fait des "rafles" parmi les jeunes -certains auraient été arrêtés trois fois- alors que le "light show de l'hélicoptère attirait tous les noctambules vers les lieux des échauffourées nocturnes". La majorité des personnes interpellées ont été inculpées d'émeute ce qui permet, selon l'activiste, de "criminaliser l'ensemble du mouvement".

Sur le plan politique, le député de l'Alliance de gauche, Rémy Pagani, rejette la responsabilité des débordements sur Gérard Ramseyer, chef du Département de justice et police et des transports qui a délimité un "large secteur de sécurité" englobant "tous les riches dedans, alors que les pauvres étaient dehors". Pour faire la lumière sur ces chaudes journées, il demandera au Grand Conseil de créer une commission d'enquête devant traiter des dérapages policiers, de la violence des jeunes et du rôle d'"une certaine presse" n'ayant pas toujours relaté correctement les faits.

PROCHAINE MANIFESTATION?

Le député a également dénoncé le fait que la commission des visiteurs du Grand Conseil n'a pas pu pénétrer jeudi soir à Champ-Dollon pour vérifier les conditions de détention. Jean-Michel Claude, le directeur de la prison, se défend d'en avoir interdit l'accès, car les entrées à la prison sont limitées aux heures ouvrables et car son personnel avait déjà 17heures de travail derrière lui. En revanche, il certifie n'avoir "rien à cacher" et que "tout le monde a un matelas et de quoi manger".

Afin d'apaiser les esprits, l'AMP se donne une semaine. Mais elle pourrait appeler à une manifestation "massive et pacifique" pour samedi prochain pour revendiquer la libération des détenus et l'arrêt de la répression anti-jeunes qui sévit sur la ville. Michel Schweri

1La permanence se tient tous les jours entre 17 et 19h dans les locaux de la Ligue suisse des droits de l'homme, 9 avenue Sainte Clotilde à la Jonction, 2eétage. 022-3282844.

Scène de l'arrière des lignes policières lors de la manifestation de mercredi après-midi sur la place des Nations. LDD

Violence d'Etat dénoncée

"Un jeune de 20ans, interpellé dimanche matin a vu sa détention prolongée d'un mois, hier matin, car il a été arrêté avec une perruque en poche, des genouillères et surtout un mémorandum des droits de la personne arrêtée." Cet exemple permet aux responsables de l'Action mondiale des peuples et au nouveau "comité anti-répression" de démontrer le durcissement de la police et de la justice à l'égard des jeunes arrêtés dans les cadres des manifestations anti-OMC et des échauffourées de ces derniers jours.

Le comité a dénoncé la prise d'empreintes digitales et de photos des interpellés, "illégales s'il n'y a pas d'inculpation". Il a aussi révélé les conditions d'arrestation de bon nombre de jeunes -certains dans leur lit, sans mandat, d'autres dans la rue- qui se seraient ensuite vu attacher à des barrières avec des ligatures en plastique ou menottés autour de pylônes en béton dans un parking souterrain, sans nourriture ni boisson pendant parfois 12h. Certains prétendent avoir été entièrement déshabillé.

TEMOIGNAGES

Hier, lors de la conférence de presse de l'AMP, des jeunes ont témoigné. L'un a été arrêté "sans motif" lundi matin après avoir pris des photos dans le parc de l'OMC. Il a été retenu jusqu'à mercredi alors que le juge n'aurait pas vérifié son alibi "en béton": selon ses dires, le jeune a passé le week-end au Tessin pour fêter son anniversaire avec ses parents et participer à une réunion d'une colonie de vacances. Il n'a été libéré qu'après l'intervention d'un avocat.

Un autre a été arrêté durant la manifestation de mercredi devant le Palais des Nations. Dans un premier temps plaqué au sol par deux policiers, il a été relevé devant un supérieur qui lui aurait "écrasé les testicules" et l'aurait frappé au visage. Le jeune a le nez cassé. Des plaintes sont dans l'air. MSi


articles publiés dans Le Courrier - Mai 1998 | www.agp.org