Qui a peur de la clause sociale?

Acheter un jouet pour son petit dernier, rien de plus plaisant. Pourtant, le cadeau innocent peut laisser un arrière-goût amer en découvrant la méthode de production du joujou: exploitation des enfants, travail forcé, condition déplorable du labeur des ouvriers, etc., etc.

Ouvrir toutes grandes les vannes des échanges commerciaux mondiaux ne nécessiterait-il pas quelques garanties sociales ? Sinon, qu'est-ce qui empêcherait les producteurs de baisser le coût de production, à n'importe quel prix humain?

En décembre de l'année dernière, les négociateurs de l'OMC ont répondu en refusant d'inclure la "clause sociale" dans leur réglementation. Arguant que ce souci revient à l'Organisation internationale du travail (OIT) qui, il est vrai, s'en préoccupe depuis sa fondation en 1919. Cependant, invoquer la tradition ne doit pas cacher une différence fondamentale entre ces deux institutions: l'OMC a la possibilité de sanctionner un État membre qui viole ses lois, l'OIT ne peut que lui adresser un blâme.

Investi de cette mission, l'organisation du travail a bien tenté une suggestion à l'OMC: établir un label classant chaque État dans la catégorie des respectueux -ou non- des normes minimales garantissant les droits fondamentaux de l'homme au travail. La proposition a été balayée. Et noyée dans une déclaration de bonnes intentions sur l'espoir d'une collaboration fructueuse entre les deux organisations mondiales.

COHÉRENCE, COHÉRENCE...

L'argumentaire est exposé dans le discours prononcé le 7 décembre dernier par Renato Ruggiero, directeur-général de l'Organisation mondiale. C'est clair: "Il est interdit d'appliquer des restrictions commerciales dans le but de changer le processus et la méthode de production -ou autres politiques- de ses partenaires commerciaux. Pourquoi ? Parce qu'ils sont du ressort de la juridiction nationale de chaque État."

Il y a un os. Si l'intervention sur les conditions de production est interdite, que reste-t-il ?

"Le problème ne vient pas vraiment des organisations mondiales, mais de la volonté des États qui jouent sur deux tableaux", énonce Lara Cataldi, de la Déclaration de Berne. Pour elle, la perte de la souveraineté nationale dans les critères commerciaux représente un danger. Mais aussi un bienfait, souligne-t-elle: "On peut prétexter la clause sociale à mauvais escient aussi."

Exprimant sa position personnelle, Christophe Bellmann, de la Communauté de travail, trouve carrément préférable de ne pas intégrer la clause sociale à l'OMC: "Tout serait biaisé par l'objectif unique de la libéralisation des marchés", argumente-t-il. De toute façon, il rejette le procédé des sanctions commerciales. Exemple. Au Bangladesh, les tapis sont souvent confectionnés par des enfants. "Si on boycotte ces tapis, les gosses vont se retrouver à la rue, ce qui est encore pire!", remarque-t-il. Mieux vaut, selon lui, inciter ce pays à améliorer les conditions de travail des petits. Comment ? En récompensant ses efforts, par exemple en offrant un accès facilité à notre marché. Mais l'OMC interdit le favoritisme ? "Oui, mais elle permet un aménagement pour les 48 pays les plus pauvres", rétorque-t-il. De plus, on peut sensibiliser le consommateur du Nord en instaurant un label.

LE LABEL EN QUESTION

Les labels. Justement, ils semblent être remis en question par une minorité1 de membres de l'OMC qui les considèrent comme une barrière nuisible au commerce. Le raisonnement est simple. L'OMC interdit la différenciation entre deux produits similaires. Un thon pêché avec un filet qui tue ou qui préserve les dauphins a exactement le même goût. Dans ce cas, le label sur les boîtes de ce poisson pourrait être discriminatoire. Max Havelaar pourrait aussi être concerné.

"Attention, on est dans l'interprétation. Le label obligatoire, c'est-à-dire nécessaire pour entrer sur le marché national, peut être considéré comme un obstacle au commerce. En revanche, un label volontaire devrait être compatible. Max Havelaar ou le petit dauphin sont un choix des producteurs. Et non une contrainte."

Ces labels sont aussi un précieux outil d'information accessible au consommateur. S'ils disparaissaient, les clients perdraient encore quelques grammes de leur moyen de pression: leur choix d'achat. Ils n'auraient que le prix et la provenance pour juger d'un produit. Bye bye l'éthique.

IDt

1 Ce sont les Etats-Unis et de certains pays du Sud qui sont affectés par la concurrence et peinent à s'adapter aux exigences pour bénéficier aussi du label.


Retour à l'index du Courrier | www.agp.org