EFFETS INDIRECTS

Le consommateur doit aussi juger du revers de la médaille OMC

Complexes, les accords de l'OMC laissent souvent indifférent le consommateur de chez nous. Pourtant, si le panier de la ménagère n'en ressent pas les effets, ils ne sont pas loin.

Parler d'Organisation mondiale du commerce (OMC) sur un palier risque de faire fuir les voisins ou, au mieux, de n'éveiller aucune réaction. Lointains, trop complexes, abscons, les accords de libre échange ne soulèvent qu'un intérêt fort restreint auprès de monsieur et madame tout le monde. Et pourtant. Ces fameux voisins, comme chacun d'entre nous, entrent dans la catégorie des consommateurs, c'est-à-dire les premiers concernés par les accords de l'OMC. Car, à quoi servirait le commerce... sans clients?

A la toute origine de cette initiative de déréglementation du marché mondial, en 1948, se trouve la volonté des Etats de sortir d'une économie entièrement dévouée à l'effort de guerre. "L'OMC voulait redonner l'envie aux gens de consommer. L'ouverture des marchés à la concurrence devait provoquer une baisse des prix, donc une incitation à l'achat, l'ensemble tout au bénéfice des consommateurs", introduit le professeur Beat Burgenmeier, doyen de la Faculté de sciences économiques et sociales de l'Université de Genève. La vision, à cette époque, est purement quantitative. On veut offrir le luxe à la portée de tous les budgets, même les petits.

NE RÊVONS PAS!

"Maintenant, personne n'est dupe. Il y a les revers de la médaille", remarque le professeur. Ce magnifique monde aux échanges totalement libéralisés où chacun, riche ou pauvre, peut s'offrir les caprices que lui chantent ses instincts d'acheteur ne s'est jamais réalisé.

Deux raisons, selon le M. Burgenmeier. Il pointe le pouce: premièrement, le système monétaire international, assuré par le FMI, s'est effondré en 1971 à cause de la folie dépensière de certains pays. L'index du prof se lève: deuxièmement, les nations en voie de développement n'ont pas suivi l'élan de la prospérité, par manque d'infrastructure et de moyens, d'où la création de la Banque mondiale (BM). "Cette triade GATT-FMI-BM a donc très vite démontré sa faiblesse", analyse-t-il. A qui la faute? On invoque l'impérialisme économique de l'Occident. Ou on blâme les victimes du système, les pays pauvres, dont les gouvernements sont accusés de corruption et de détournement de l'aide internationale. Pour le professeur, les choses sont plus complexes. Mais c'est un autre débat.

Bref, le résultat de la libéralisation des marchés n'est de loin pas celui attendu. L'OMC pêche par une grave lacune, d'abord, puisqu'elle ne s'adresse qu'aux Etats et non aux multinationales. Elles qui, justement, ne se gênent pas de monopoliser, et donc de freiner la libre concurrence, sans aucune transparence dans leur méthode de faire. Rien de plus courant que de trouver plusieurs marques appartenant à une même entreprise.

Ensuite, continue le professeur, l'organisation mondiale ne règle absolument pas le problème éthique et moral de l'inégalité de la distribution des richesses. "Qu'est-ce qui est juste?", lance-t-il. En économie, c'est le prix du marché. En démocratie, la majorité. Dès lors, idéalement, pour sortir du carcan économique, il faudrait une répartition des gains réglée par un mécanisme doté d'une légitimité démocratique à l'échelle planétaire. Une société civile mondiale, en d'autres termes. "Mais là, on rêve", sourit le professeur.

Très sérieux, il met en lumière une troisième dérive: "La philosophie du "toujours plus", cette volonté du tout, tout le temps et partout, entraîne immanquablement une détérioration de la nature."

EFFETS INDIRECTS

Ces dysfonctionnements, selon Beat Burgenmeier, n'ont pour l'instant pas d'impacts directs sur le consommateur. Pourtant, on constate un façonnement du comportement de l'acheteur chez nous qui s'est habitué à profiter de ce "tout, partout et à tout moment". Il ne se sent pas affecté par les oubliés de cette prospérité annoncée. "Il a tendance à dire, laissons les pauvres chez eux." Et, à la limite, l'humanitaire, répond assez bien aux élans d'aide au développement.

"Cette myopie est inquiétante", relève le doyen de la Faculté. La question démographique va, selon lui, renforcer de manière spectaculaire les problèmes économiques. Comme une cocotte minute, la pression va augmenter. Et les frontières vont encore davantage se fermer aux étrangers, transformant les nations privilégiées en hérisson xénophobe. "Le clivage dans l'attitude collective est flagrant: d'une part, on veut profiter du supermarché du monde, mais sans s'occuper du comment, du pourquoi et des effets. Il n'y a aucune réflexion des causes et des conséquences. Le consommateur n'en a cure, il n'y voit que du feu."

En revanche, dans le domaine écologique, le professeur Burgenmeier dresse un tableau moins sombre: "Une conscience s'est levée, les choses bougent. On s'oriente vers un concept de développement durable. Mais la seule force de pression reste dans la société civile, donc les consommateurs."

ATTÉNUER LES BÉMOLS

"Je suis pour un libre échange, mais muni d'instruments efficaces de régulation qui atténueraient tous les bémols que je viens de citer", s'engage Beat Burgenmeier. "Mais toute cette discussion nécessite, pour rester pragmatique, de tenir compte des rapports de force politiques qui influencent considérablement la pesée des intérêts." Pour lui, les institutions mondiales, créées parallèlement à l'OMC, ne bénéficient pas, contrairement à l'OMC, de pouvoirs qui en feraient de vraies instances supranationales. N'était-ce pas mettre la charrue avant les bœufs et laisser l'économie maître du monde? "Possible..." Mais, pour lui, les règles du jeu ne sont pas encore définitives. Suffit de ne pas fermer le débat.

Isabelle Ducret

La seule force de pression reste dans la société civile, donc les consommateurs. Interfoto.


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