Un regard posé depuis le BIT

Le Père Dominique Peccoud est le conseiller spécial pour les Affaires socio-religieuses du Bureau international du travail (BIT). Avant d'occuper ce poste, il a été directeur d'une école d'ingénieurs en France, a participé à la création, en 1984, d'une maison pour les chômeurs à Toulouse. Il a également fondé, en 1988, une société d'investissements en capital d'entreprises. Entretien.

Le Courrier: Vous êtes collaborateur d'une organisation qui s'occupe du droit du travail à un niveau macro-économique. Quel regard portez-vous sur l'OMC et sur la table ronde de l'AMP?

Dominique Peccoud: Je comprends parfaitement que l'on se réunisse pour s'opposer à la fusion de l'UBS et de la SBS, parce que ce mariage est fondé sur la dynamique totalitaire du marché et du capital. En revanche, il me semble qu'il y a confusion lorsque, dans un même élan, on s'oppose à l'OMC. Le problème est différent, car l'OMC n'est pas une réunion d'entrepreneurs, mais une instance où sont représentés les gouvernements de tous les pays. L'existence d'une telle instance est donc souhaitable, car elle a pour but d'introduire une réglementation dans les échanges. En ce sens, je désapprouve le président de la chambre de commerce de Milan, lorsqu'il déclarait récemment que l'OMC devrait être exclusivement composée des dix ou vingt plus grandes entreprises de la planète.

Cela dit, l'AMP est de l'ordre de la société civile, qui est l'un des trois piliers d'un système politique et économique optimal. Le premier pilier est la libre entreprise, meilleur moteur à la production de richesses. Mais la dynamique du marché, en accordant logiquement des rabais aux plus gros clients afin de les fidéliser, ne fait qu'augmenter l'écart entre riches et pauvres. Il faut donc un gouvernement fort, deuxième pilier du système, qui opère une redistribution et gère le long terme. Reste la société civile. La famille en est la base, parce que l'individu qui ne se développe pas dans un cadre de confiance en fera porter le prix à la société tout entière. A la famille s'ajoutent les systèmes associatifs, qui rendent service, mettent en œuvre du sens, puis les courants spirituels et religieux.

Quelles sont les valeurs qui déterminent votre réflexion?

La doctrine sociale de l'Eglise catholique constitue une base théologique unique. Je suis jésuite, comme mes six prédécesseurs, et me considère fonctionnaire avant d'être prêtre. Ce poste a été créé en 1920, lorsque Albert Thomas, premier directeur du BIT, a découvert cette doctrine sociale, issue des premières encycliques. Les valeurs fondatrices de l'éthique sociale du BIT se sont développées au carrefour de deux courants de pensée, l'un détenu par l'Eglise catholique et les chrétiens libéraux, l'autre par des "chercheurs de sens", les juifs libéraux et les francs-maçons. L'Organisation internationale du travail (OIT) [dont dépend le BIT, ndlr] est chargée de l'application et de la définition du droit social. En ce sens, je m'interroge quant à la possibilité de fonder un droit qui soit une valeur commune pour tous les peuples, un droit qui mette en pratique la déclaration universelle des droits de l'homme, dans toutes les cultures, de sorte qu'elle devienne un texte de loi.

Justement, lorsqu'il s'agit de sanctionner un abus du droit du travail, quels sont les moyens d'action?

Dire qu'un pays doit être exclu de l'OMC parce qu'une entreprise a enfreint des droits élémentaires des travailleurs, cela n'a pas de sens. Il faut sanctionner les entreprises, en informant le consommateur qui peut exercer un boycott.

Et lorsque l'on évoque, à l'OMC, l'interdiction des labels de provenance, afin de ne pas discriminer les moyens de production, ce qui entraînerait la disparition du label "dolphin free", sur les boîtes de thon?

Il s'agit d'un abus du tiers commerçant, qu'il faut sanctionner.

Propos recueillis par Jacques Nicola


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