Défendre les intérêts de la majorité des citoyens, c'est déjà s'opposer à l'OMC.

On peut contrer un courant mondial

Sans le revendiquer explicitement, certaines luttes importantes en Suisse s'opposent de fait à la logique de concurrence effrénée défendue par l'Organisation mondiale du commerce (OMC).

Bien que la Suisse se réfugie souvent derrière sa neutralité, elle n'est pas moins soumise aux grandes tendances planétaires, comme l'actuelle prééminence des principes défendus par l'Organisation mondiale du commerce (OMC). D'autant qu'il s'agit de normes économiques générales appliquées localement, parfois même depuis fort longtemps, par les classes dirigeantes dans la majorité des pays. Ainsi, le maître-mot de cette organisation -la concurrence sous toutes ses formes et sans entraves- n'est pas une nouveauté découlant de l'adhésion de la Suisse à l'OMC.

Toutefois, la perspective de la signature des accords finaux de l'Uruguay round du GATT avait donné un coup de fouet aux résistances. En 1993, une fraction des paysans de Suisse ont été les premiers à réagir contre la déréglementation de l'agriculture induite par ces accords (voir en page 6). En 1997 encore, les producteurs de fromages au lait cru ont manifesté contre la volonté du Codex alimentaire -devenu une officine de l'OMC- d'obliger, au niveau mondial, la fabrication de fromages avec du lait pasteurisé exclusivement.

ACTION INDIRECTE

Outre les paysans plaçant clairement leurs combats dans le refus des règles de l'OMC, d'autres résistances d'ampleur ont été opposées, en Suisse, aux principes de l'OMC, même si leurs acteurs ne revendiquaient pas expressément cette dimension. Ainsi, le refus de la révision de la loi sur le travail, combattue par référendum et rejetée par le peuple en décembre 1996, a été un épisode important de la lutte des syndicats contre la déréglementation des conditions de travail devant permettre de produire à moindre prix (afin que les industriels suisses soient plus compétitifs sur le marché mondial).

L'allongement de la plage horaire du travail dit de jour -sans supplément salarial-, l'autorisation facilitée du travail de nuit et de six dimanches par année, de même que l'augmentation du nombre d'heures supplémentaires exigibles visaient en effet à flexibiliser les horaires tout en limitant les frais salariaux. Le refus populaire de ce projet mettait de fait un frein à la concurrence et rompait donc avec la logique de l'OMC.

NOUVELLE LOI, NOUVELLE LUTTE

Depuis lors, la nouvelle mouture de cette loi, concoctée par les chambres fédérales et approuvée par les syndicats, limite le sacrifice demandé aux salariés par rapport à la révision rejetée. Elle réintroduit une compensation en temps de 10% pour le travail de nuit, bien que, ce faisant, elle avalise l'élargissement de cette pratique. Elle introduit également la nouvelle notion de "travail du soir" (entre 20 h et 23 h) à propos duquel l'employeur pourra simplement se contenter de consulter son personnel. Le nombre d'heures supplémentaires est également réduit, mais il ne sera plus exigé d'autorisation fédérale pour y recourir. Ainsi, le nouveau projet de loi sur le travail actuellement en discussion permet finalement un accroissement de la concurrence et fait un pas dans le sens des principes de l'OMC, même s'il ne comble pas pleinement l'attente des employeurs.

Dans cette perspective, mais sur un plan sectoriel, le combat syndical pour le maintien de conventions collectives dignes de ce nom et leur application participe également de la lutte contre la logique induite par les tenants du libre échange à la sauce de l'OMC. A l'inverse, les récents abattements fiscaux décidés par le Parlement fédéral en faveur des entreprises -en "améliorant" leurs conditions-cadre et en reportant sur la collectivité ces pertes d'impôts- vise à soutenir les industries suisses sur le marché mondial et donc à accroître la concurrence, incitant ainsi les autres gouvernements à agir de la même façon.

QUAND L'ÉTAT S'Y MET

Si l'OMC s'occupe en particulier de limer les entraves à la concurrence entre les industries nationales, la mise en œuvre de cette logique déteint également sur les gouvernements qui essaient tous de rendre leur pays plus compétitif que ses voisins. Dans ce but, et sans être membre de l'Union européenne, la Confédération épouse les critères de Maastricht pour assainir son budget. Le Parlement fédéral a en effet entrepris un grand travail visant à modifier la péréquation financière entre les cantons et la Confédération pour alléger les finances fédérales. Par ailleurs, l'ensemble des subventions versées par le Gouvernement fédéral sont actuellement passées au peigne fin pour essayer d'économiser quelques sous.

Et surtout, les plans financiers fédéraux tablent sur l'approbation, par le peuple le 7 juin 1998, de "l'objectif budgétaire 2001" prévoyant de limiter le déficit public à 5 milliards de francs en 1999, à 2,5 milliards en l'an 2000 et à 1 milliard en 2001. Une bonne partie de ces économies doivent être faites sur les assurances sociales, donc sur les citoyens les plus défavorisés.

RÉSISTANCE POSSIBLE

A ce titre, la volonté de la Confédération de couper dans l'assurance-chômage est exemplaire. D'une part, les frais effectifs de la destruction d'emplois ne sont pas supportés par leurs responsables, puisque les employeurs ne veulent pas entendre parler d'une hausse de la cotisation qui renchérirait le coût du travail et limiterait leurs capacités concurrentielles. D'autre part, la droite claironne que les finances publiques doivent être assainies alors qu'elles sont précisément asséchées par les choix économiques des grandes entreprises et instituts financiers. Résultat, les chômeurs sont appelés à passer à la caisse.

En s'opposant à ce projet préconisé par l'Arrêté fédéral urgent en matière d'assurance-chômage, les groupes politiques et les sections syndicales, et surtout les citoyens ayant refusé cette coupe le 28 septembre 1997, se sont de fait opposés à la volonté d'inscrire encore plus profondément la Suisse dans la logique de l'OMC.

On le voit, que cela soit au niveau des entreprises ou des États, la recette simpliste de l'OMC -plus de concurrence- a des conséquences très concrètes. Il est toutefois possible de la contrebalancer par l'action directe des citoyens défendant leurs intérêts. Ainsi, chacun peut participer à cette lutte. Comme un certain M.Jourdain qui faisait de la prose sans le savoir...

Michel Schweri


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