Démystification d'une croyance ravageuse

Genève s'apprête à accueillir la première conférence de l'Action mondiale des peuples contre l'OMC et le « libre » échange (AMP). Sur les centaines d'associations qui souhaitent participer à cet événement, on ne sait pas encore exactement le nombre de délégués des pays du Sud qui auront les moyens de faire le voyage. Aussi terre à terre que puisse être ce problème, il illustre la dénonciation essentielle que claironne l'AMP: la libéralisation des échanges n'est pas la panacée aux maux et aux clivages de notre monde. Au contraire, propulsé au rang de dogme, il participe à creuser l'écart entre les plus riches et les plus pauvres et à dénaturer les rapports des hommes -entre eux et avec leur environnement- pour les subordonner à leur seule composante économique.

Ainsi, des organisations qui représentent des milliers, voire même des millions d'individus, n'auront pas la possibilité de participer à la première conférence de l'AMP. Par manque de moyens1. Et, plus fondamentalement, parce que -malgré les habits démocratiques dont s'attifent la plupart des États et le système international- la multitude n'a pas voix au chapitre dans le façonnement du monde d'aujourd'hui.

L'Organisation mondiale du commerce (OMC), qui est née des cendres du Gatt en 1995, est l'institution qui révèle le plus clairement cet état de fait. S'affichant comme un forum de concertation entre les États pour réglementer leurs rapports commerciaux, elle ne parvient pas à masquer la violence rapports de force qui y président. Reconnaissant dans son acte inaugural qu'"il est nécessaire de faire des efforts positifs pour les pays en développement", elle se plie en fait aux intérêts des États les plus puissants et de leurs firmes transnationales.

Pris dans une logique où ceux qui sont nantis commandent, les pays en développement doivent faire mine d'adhérer à cette grande farce tragique. Comment rester en dehors de l'OMC, alors que deux tiers des échanges à l'échelle mondiale dépendent de firmes transnationales dont les sièges se trouvent dans les pays industrialisés?

Lors de la signature de l'acte final de l'Uruguay Round, un ambassadeur africain a résumé à sa manière la portée de l'OMC: "Nous n'avons pas d'autre choix que de signer ce document inique. On attend de nous que nous posions notre tête sur le billot. Nous le ferons avec dignité, sans un sourire pour l'exécution."

Le but ultime de l'OMC est de mettre en compétition toutes les économies du monde. Mais comment le Niger ou le Salvador peuvent-ils rivaliser avec les États-Unis ou l'Europe ? L'OMC rétorque qu'elle est précisément le lieu pour la négociation d'aménagements et de délais. Pour laisser à chacun le temps de s'adapter... Au vu des précédents et des forces en jeu, c'est une montagne d'hypocrisie.

Mettre toutes les économies du monde en compétition, c'est aussi mettre tous les individus en compétition. Le credo de la libéralisation n'affecte pas seulement les États du Sud. En Suisse, en Europe, aux États-Unis et dans les pays nouvellement industrialisés, c'est la recette que les politiciens et les milieux économiques remuent à longueur de journée.

Privatisation, fusion, restructuration, délocalisation, licenciements... voilà le lot désormais bien connu en Suisse de la libéralisation et de la compétitivité, sacralisées comme projet de société.

Alors que les tenants de cette philosophie prépare le cinquantenaire du GATT/OMC au mois de mai, la première conférence de l'AMP se propose de coordonner une plate-forme mondiale de résistance. Dans la perspective de soutenir cet effort et de remplir sa mission d'information, Le Courrier publie le cahier spécial que vous tenez dans les mains. Une contribution à la démystification d'une croyance ravageuse.

Michael Roy

1Le comité d'accueil genevois de l'AMP a reçu de nombreux dons pour pouvoir payer les billets des délégués. Mais la somme reste insuffisante au vu des centaines de préinscriptions enregistrées.


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