Pourquoi être contre l'OMC?

Etre contre l'OMC ne signifie pas être contre l'existence d'accords réglant les échanges internationaux, qui seraient bien sûr préférables à la "loi de la jungle". Etre contre l'OMC signifie être contre les accords bien particuliers du GATT, car l'OMC n'est rien d'autre que la bureaucratie chargée d'appliquer ce traité-là. Or le postulat économique qui le sous-tend est faux, son but est mal choisi et son fonctionnement anti-démocratique. L'OMC, c'est la loi du tigre.

Réformer l'OMC? Soit. Mais pour la rendre acceptable il faudrait, de fait, la transformer de fond en comble. Autrement dit, s'en prendre à ses racines. Voilà pourquoi:

1. Le postulat économique. Selon la théorie des "avantages comparatifs", une vieille lune datant du XVIIIe siècle, le libre échange serait toujours avantageux à toutes les parties, stimulant par la concurrence les économies moins efficaces et incitant les partenaires à se spécialiser dans les productions dans lesquels ils sont le plus compétitifs.

Or quand deux activités de productivité trop différentes sont ainsi mises en compétition directe, la plus forte ne stimule pas l'autre: elle l'écrase. Aujourd'hui, l'agriculture des Etats-Unis ou d'Europe de l'Ouest est jusque à 500 fois plus efficace que celle des pays du Sud. Le blé, le maïs ou le riz de paysans travaillant avec des houes coûtent forcément plus chers que les produits de l'agro-industrie. Leur mise en concurrence directe ruine les paysans, qui viennent chômer en ville, alors que leur pays doit dépenser des devises précieuses pour importer des produits alimentaires de base.

Ce mécanisme infernal a provoqué la révolte zapatiste, mais aussi nourri les ferments de la guerre civile rwandaise et de dizaines de millions de tragédies anonymes. Le plus souvent, il n'y a pratiquement aucun secteur d'activité pour lequel ces pays jouissent d'un "avantage comparatif". Ils sont partout moins productifs. D'où un chômage et un endettement chroniques envers l'étranger.

Tous les pays qui ont réussi à "décoller" économiquement -depuis la Grande Bretagne et les Etats-Unis jusqu'aux japonais et aux "dragons" d'Asie- ont protégé leurs industries tant que celles-ci étaient faibles, ne se convertissant au libre-échange qu'au moment où une forte productivité leur permettait de dominer leurs concurrents.

2. Le but. L'OMC vise la croissance des échanges internationaux, comme si cela signifiait automatiquement une croissance des richesses. En réalité, la production mondiale n'augmente que très lentement par rapport aux échanges internationaux. Puisque ceux-ci sont pratiquement entièrement entre les mains des multinationales (99% des échanges avec les Etats-Unis se font par l'intermédiaire d'une multinationale), l'augmentation des échanges signifie seulement l'accaparement de l'économie mondiale par ces mastodontes -ce qui est le but réellement recherché! Les chantres de cette "croissance" prétendent qu'une "marée montante soulève tous les bateaux". Il s'agit plutôt d'un ras de marée qui engloutit les plus petits.

Et même en admettant que cette croissance incontrôlée tous azimuts puisse finalement aussi améliorer un peu le sort des plus pauvres (bien que ce soit le contraire qui semble se vérifier), ne savons-nous pas qu'une telle voie mènera droit à la catastrophe écologique?

3. Un fonctionnement anti-démocratique. L'OMC s'est constituée par des "consultations" rappelant d'avantage des conclaves de mafieux qu'un processus démocratique (voir en page 13). Le mécanisme d'arbitrage de conflits est à la même image. Les "tribunaux" de l'OMC, siègent en secret, à l'étranger. Le principe de précaution n'y est pas admis: un pays ne peut interdire un produit par mesure de prudence. Il doit prouver que ce produit est nocif à des "comités d'experts" qui sont notoirement connus pour être sous influence politique.

Résultat: les experts du Codex alimentarius jugent sans danger tous les aliments transgéniques, mais cherchent à interdire les fromages au lait cru! Quant à la volonté populaire des nations concernées, elle n'entre pas en ligne de compte. Enfin, cerise sur le gâteau, c'est au plaignant d'appliquer les sanctions lorsqu'on lui donne raison! Autant dire qu'un arbitrage en faveur de Cuba ou de l'Iraq contre les Etats-Unis (les embargos contre ces pays étant évidemment illégaux selon les critères de l'OMC) a moins de chances d'être suivi d'effets que le contraire!

Des "jugements" qui parlent d'ailleurs d'eux-mêmes... Voilà deux deux ans que l'OMC rend "justice". Sur la centaine de verdicts qui ont été rendus, tous ont été fait aux dépens de la législation protégeant les dauphins, les tortues de mer, la qualité de l'air, la forêt tropicale, le respect des droits de l'homme.

Aussi bien les principes que les mécanismes de l'OMC ne servent qu'à favoriser ceux qui ont déjà trop de pouvoir et de richesses. Ceux-ci feignent parfois d'écouter les critiques de ceux qui leur proposent des clauses sociales ou environnementales censées pallier les dysfonctionnements les plus criants de ces accords. Or, simultanément, ils préparent dans le plus grand secret l'Accord multilatéral sur les investissements (A.M.I.) qui saperait toute base légale aux législations sociales ou écologiques.

Comme toujours, les réformes, le "lobbying", n'auront une marge de manoeuvre sérieuse que si une pression populaire et une critique radicale met véritablement sous pression les détenteurs arrogants du pouvoir.

La croissance aveugle des échanges internationaux au profit d'une minorité a été élevée au rang de dogme. Nous répliquons que le but de l'économie est de répondre aux besoins essentiels et diversifiés des différents peuples, en provoquant le moins de dégâts sociaux et écologiques possible. Cela implique plutôt une option en faveur de productions indigènes, qui s'adaptent aux besoins sociaux (main-d'oeuvre à employer, critères écologiques, etc.).

Keynes disait: "Ce sont les idées et les gens qui doivent voyager, pas les marchandises et le capital." L'inverse de l'univers sinistre que nous construisent les restrictions sur les déplacements humains, les monopoles sur la propriété intellectuelle et le dogme du "libre" échange. Déciderons-nous de renverser cet ordre des choses?

CAAMP


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