Les services publics sous pression

La politique de dérégulation prônée par l'OMC est fondamentalement destructrice: les marchés et la concurrence ne sont nullement synonyme de démocratie ou de meilleure réponse aux besoins des populations comme beaucoup le croient encore. Le marché ne connaît que les besoins solvables -tous ceux qui n'ont pas d'argent sont réputés sans besoins- et consacre la domination des plus puissants financièrement. Il privilégie la rétribution du capital, notamment financier et s'attaque à tout ce qui peut la limiter.

Dans le rapport marchand, on produit toujours contre quelqu'un d'autre, pour accroître les parts de marché et éliminer les entreprises concurrentes; la concurrence débouche donc sur le monopole. La force de travail humaine, loin d'être considérée comme une source de richesses, est au contraire vue comme un coût qu'il faut absolument réduire. La concurrence au niveau mondial s'exerce avant tout au détriment des emplois, des salaires, des conditions de travail, des protections sociales.

SERVICES INDISPENSABLES

Les services publics sont eux aussi attaqués au moment précisément où ils doivent assumer la facture sociale exorbitante de ces politiques de dérégulation. Ils sont considérés comme des coûts qu'il faut comprimer, car leur financement détourne d'importantes ressources des circuits de rentabilisation du capital. Les services publics, en effet, ne fonctionnent pas selon les critères du marché: ils produisent des biens et services indispensables à toute la population (hôpitaux, écoles, transports publics, poste, services sociaux). Chaque personne y a en principe accès, quel que soit son revenu, car les services publics supposent une redistribution sociale des revenus entre riches et pauvres par le moyen de la fiscalité, et les subventions étatiques réduisent le prix des biens marchands produits.

Les milieux bourgeois prônent l'ouverture à la concurrence des secteurs essentiels et la privatisation des entreprises publiques. Ils veulent élargir le champ d'investissement rentable pour le capital privé, démanteler toutes les délégations d'intérêt général à l'État, stigmatisées comme "monopoles publics", et réduire les subventions publiques.

Dans l'immédiat, les télécommunications (privatisation de Telecom), les chemins de fer (libéralisation du trafic dès 98), l'énergie et l'électricité, demain la poste, sont visés. Mais ces processus de libéralisation n'épargneront aucun secteur, santé et éducation comprises. Les contrats de prestation entre l'État et les services sont l'un des vecteurs de ce bouleversement, car ils postulent à terme une complète indifférence sur le statut (service public ou entreprise lucrative) de l'établissement prestataire.

TOUS EN CONCURRENCE

L'ouverture à la concurrence et la privatisation présentent des différences de degré, mais elles sont les deux faces d'un même processus. La première pervertit ainsi toutes les règles en vigueur dans les services publics : les entreprises sont désormais en concurrence sur le marché avec des entreprises privées qui se positionnent sur les créneaux les plus rentables, alors que l'entreprise publique doit assurer un service universel. Cette dernière doit dès lors intégrer les critères de gestion de l'économie privée, privilégier la demande solvable et accorder peu à peu une priorité exclusive à la rentabilisation financière, au détriment des emplois, des conditions de travail du personnel et des prestations à la population.

La privatisation des Telecom privera la Poste des ressources provenant de la péréquation entre secteurs rentables et déficitaires et obligera cette dernière à se positionner sur de nouveaux créneaux essentiellement financiers. Swisscom, qui s'est constitué en capital financier, avec des investissements de centaines de millions dans le monde, prévoit 4000 suppressions de postes d'ici l'an 2000, et le personnel sera soumis à un statut de droit privé.

Quant aux CFF, ils envisagent de privatiser ou sous-traiter tous les secteurs qui ne relèvent pas de leur activité principale : 12 000 postes de travail sur 32 000 sont concernés.

Profitant du remue-ménage causé par la privatisation de Telecom, Poste et CFF veulent se déconnecter des conditions de travail en vigueur à la Confédération. Ils veulent avoir les coudées franches pour déterminer ces conditions en fonction du marché, au détriment de la majorité des salariés, particulièrement de ceux qui effectuent les travaux les plus durs.

Dans ce domaine comme dans d'autres, les processus de libéralisation doivent être combattus par les syndicats et la population, car ils aggravent le chômage, attaquent les conditions de travail et suppriment des prestations à la population. Les services publics constituent un acquis social que nous devons défendre avec tous les moyens à notre disposition.

Eric Decarro,

président du Syndicat suisse des services publics


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