L'opacité des accords de l'OMC a suscité de saines réactions populaires

Les contestataires se rabattent sur la rue

Dès le début de l'Uruguay Round qui a débouché sept ans plus tard sur la création de l'OMC, les pays les plus puissants économiquement ont mené le bal. Pour faire avancer les dossiers dans l'intérêt de leurs entreprises nationales et transnationales, ils se réunissaient régulièrement en conclave. Témoignage sur une étape importante des négociations par un observateur priviliégié.

En décembre 1990, les ministres des pays négociant l'Uruguay Round sont venus du monde entier à Bruxelles pour peaufiner les textes des accords. Il y avait de très nombreux articles à discuter et des problèmes politiques à résoudre. Au vu des divergences, on se demandait comment on allait s'en sortir.

Les Etats occidentaux renforcèrent les pratiques déjà en cours: ils ignorèrent tout principe inspiré de la démocratie et marchandèrent en petit comité les différents aspects des accords, qui n'avaient rien à voir les uns avec les autres. De fait, les négociateurs avaient lancé cette habitude, dès 1986, au début de l'Uruguay Round. Pour les négociations portant sur l'agriculture (vitale pour le Sud), le groupe des délégués était restreint, la plupart du temps, aux représentants des États-Unis et de la Communauté Européenne ! Les autres pays avaient beau se démener pour faire valoir leur position, ils savaient à peine ce que les Occidentaux étaient en train de leur concocter.

À Bruxelles, les marchandages se sont opérés sous un sceau du secret encore jamais vu : les ministres des pays membres de la Communauté européenne (CE) n'étaient même pas systématiquement tenus au courant par les négociateurs avalisés de la Communauté. Ils devaient parfois interroger des pays tiers pour savoir quelle était la position de la CE!

Pour faire avancer les négociations et trancher les nœuds politiques, le directeur général du GATT, le Suisse Arthur Dunkel, avait pris l'habitude d'inviter un nombre très limité de pays d'une grande puissance commerciale dans sa salle de réunion verte -de sorte qu'on a appelé ces réunions secrètes "la chambre verte" ("green room"). Ce processus s'est poursuivi au niveau ministériel à Bruxelles. Pendant les débats, des décisions importantes ont été prises pour boucler les accords, tandis que plusieurs ministres de pays jugés secondaires attendaient dehors, dans les corridors.

REFUS DE LAISSER ENTRER

Ainsi, un groupe limité de négociateurs, qui était en train de rédiger les textes censés être finaux sur les droits intellectuels (ADPIC ou TRIPs), a refusé de laisser entrer un délégué africain qui frappait à la porte, alors qu'il n'y avait aucun représentant de l'Afrique dans la salle ! Interrogé sur cette affaire, le porte-parole du GATT a répondu qu'il ne voyait pas l'importance de la négociation des TRIPs pour les Africains ! Il semblait ignorer que les TRIPs auraient des influences majeures sur les semences, l'augmentation des prix des médicaments et des technologies nécessaires, etc. La situation fut jugée tellement grave que l'ambassadeur du Brésil a dénoncé, au cours d'une conférence de presse et "au nom de tous les pays en voie de développement et de tous les pays les moins avancés", l'exclusion de ces pays du processus de décision.

Autre circonstance déroutante: les réunions parallèles de négociation étaient si nombreuses que les délégations de plusieurs pays étaient tout simplement trop maigres pour pouvoir les suivre, de près ou de loin. La délégation nord-américaine comptait environ 500 personnes. De l'autre coté du spectre des puissances, il n'y avait, par exemple, qu'un seul représentant pour le Niger (son ambassadeur à Bruxelles), lequel ne maîtrisait ni la matière ni les enjeux. De sorte que lorsque les organisations non gouvernementales (ONG) ont proposé d'adjoindre à la délégation un professeur nigérien -expert en la matière et qui participait à une conférence parallèle des ONG-, cette requête a été gracieusement acceptée. Vue sous cet angle, la délégation a doublé...

Le manque de transparence pendant ces négociations, censées entrer dans leur phase finale à Bruxelles, a aussi occasionné nombre de tracas aux journalistes. Très peu d'informations leur étaient fournies sur l'évolution des négociations et sur la complexité des enjeux. Pour pouvoir obtenir des renseignements, ils se précipitaient en masse sur les quelques négociateurs ou porte-parole qui apparaissaient dans les corridors. Quant au directeur général du GATT, il courait d'une réunion à l'autre pour éviter d'être harponné par les journalistes qui galopaient derrière lui. Une scène digne du Far West!

Replète, la délégation des États-Unis comprenait pour sa part plusieurs parlementaires et représentants de l'industrie, de l'agriculture extensive et de quelques syndicats. Ces experts du lobbying, eux, avaient un accès direct aux négociateurs et aux informations. Lors de négociations antérieures à la conférence de Bruxelles, ils avaient ainsi pu formuler des propositions de texte qui ont été incorporées dans l'accord des TRIPs.

DU MAL À SE FAIRE ENTENDRE

À l'inverse, les organisations civiles ont eu bien du mal à se faire entendre. Seuls les agriculteurs ont pu mener une grande manifestation internationale bruyante dans les rues de Bruxelles -le jour avant les négociations ministérielles- pour protester contre un accord qui allait laminer leurs revenus et leurs activités. Mais il y eut bientôt une stricte interdiction frappant toute protestation ou manifestation. Un parlementaire et quelques citoyens norvégiens, qui se promenaient un jour avec une banderole enroulée, se sont retrouvés quelque temps sous les verrous!

Les ONGs ont malgré tout réussi à organiser des activités parallèles tout près des lieux des négociations ministérielles. La sécurité belge a en vain essayé de les interdire. Sous le nom GATTastrophe, les ONGs ont donc mis sur pied des tables rondes au cours desquelles des parlementaires, des écologistes et autres représentants (ie. un évêque) sont venus témoigner: ils n'étaient pas tenus informés des négociations qui avaient commencé en 1986. Ils ont relevé combien les enjeux pour les citoyens, la démocratie nationale, l'environnement et les pays en voie de développement avaient été totalement négligés.

Ces témoignages ont été déposés dans la salle de presse, à côté des communiqués de presse officiels. Cependant, on les enlevait systématiquement. Quelques représentants d'ONGs ont quand même réussi à mettre le pied dans les lieux de la conférence ministérielle sous l'étiquette de journalistes. Mais ils étaient régulièrement suivis et contrôlés par la sécurité qui les prenait en filature ! Tandis qu'une d'entre eux distribuait un communiqué de presse au ministre de son pays, la sécurité l'a arrêtée et conduite au commissariat de police. Petite consolation: le commissaire l'a relâchée peu après en livrant ce commentaire: "Mais qui donc peut être contre un commerce équitable et durable?" Il citait le titre des tracts qu'il avait dû confisquer -apparemment contre son gré.

Comité d'accueil de l'Action mondiale des peuples


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