ANALYSE

Les effets secondaires de l'A.M.I., "ennemi de la création en Europe"

Largement dénoncé par la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD), l'Accord multilatéral d'investissement risque de torpiller plus d'une législation du secteur audiovisuel.

Négocié dans le cadre de l'OCDE, l'Accord multilatéral d'investissement (A.M.I.) est un traité économique à vocation mondiale prônant une libéralisation totale du marché: libre circulation des capitaux, libéralisation des investissements, protection des investissements étrangers, création de procédures de règlement de différends. Bon. Rien à voir avec la culture, dites-vous? Hélas, si.

Un des objectifs principaux que se fixe l'Accord multilatéral pourrait bien avoir des conséquences sans précédant sur l'ensemble des législations réglementant la production culturelle en Europe. Qu'on en juge: l'A.M.I. a pour but d'accorder à tout investisseur étranger -d'abord dans chacun des 29 pays membres de l'OCDE, puis par extension aux autres gouvernements signataires- les mêmes protections qu'aux investisseurs nationaux. Si la France signe cet Accord, c'en est fait du principe de l'exception culturelle, qui autorise actuellement les gouvernements à promouvoir et à favoriser leur propre production culturelle (aide à la création, à la promotion et à la diffusion).

Lors des accords du GATT, en octobre 1993, l'Europe avait arraché aux États-Unis ce principe d'exception culturelle grâce à l'acharnement de Jack Lang, alors ministre français de la culture. Actuellement président de la Commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale française, il estime que l'A.M.I. représente "un nouvel assaut contre les politiques de solidarité et la création européenne". Pourtant, le sujet de l'Accord multilatéral est resté jusqu'à très récemment une grande inconnue pour la plupart des parlementaires.

MARCHÉ AUDIOVISUEL

Il n'en va pas de même pour la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD) qui a flairé le danger depuis le printemps dernier: par le biais de l'Accord multilatéral, l'industrie audiovisuelle américaine s'efforcerait d'obtenir ce qu'elle n'a pas obtenu au GATT, il y a quatre ans. "Les USA sont logiquement destinés à jouer un rôle prépondérant en Europe", affirmait déjà un certain Mickey Kantor, négociateur commercial américain du GATT en 1993. De fait, on ne peut que lui donner raison. Prenons le seul secteur du marché audiovisuel. À ce jour, le cinéma hollywoodien réalise 80% de ses exportations en Europe. Ses téléfilms occupent 60% des plages horaires des chaînes de télévision européennes.

Or l'A.M.I. définit un cadre et des règles qui se révèlent "supra-légales" par rapport aux lois nationales, et permet aux investisseurs, compagnies étrangères et transnationales de poursuivre en justice les "États hôtes". Sous quel motif? Dommages et intérêts en compensation de toute politique "économiquement discriminatoire", qui diminuerait ou entraverait leurs profits. Parmi les législations touchées: les directives communautaires qui concernent toutes les réglementations mises en place pour promouvoir les cultures des pays européens ou harmoniser les droits d'auteur et certains droits voisins. Ces directives deviendraient caduques, puisqu'il est prévu de les étendre à tout investisseur étranger non membre de l'Union européenne.

Ainsi, toujours d'après la SACD, le champ d'application de l'A.M.I. couvrirait la propriété intellectuelle, torpillerait les réglementations communautaires en matière audiovisuelle, ouvrirait les fonds de soutien du cinéma national au cinéma étranger. Dans le cas de la France, ces fonds deviendraient accessibles au cinéma américain qui pourrait utiliser au moins 60% des ressources habituellement destinées au soutien de films français. Même cas de figure pour les aides européennes à la création. Mais il y a plus choquant encore: en vertu de l'A.M.I., au niveau des productions artistiques et audiovisuelles, les accords de coopération semblent complètement remis en cause...

Gilles Labarthe


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