Portrait: Susan George, la grand-mère Courage de l'altermondialisme (30/05/2003)
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Photo Steeve Iuncker

ANTOINE MAURICE

Elle dit qu'il existe déjà un gouvernement mondial non élu et non légitime qui imprime les objectifs et le calendrier du libéralisme actuel. Elle va jusqu'à l'accuser de favoriser l'éclatement des guerres. Autant pour son radicalisme. Mais elle témoigne en même temps d'une aversion profonde pour la violence telle qu'elle s'est produite au Sommet européen de Göteborg en 2001.

Grand mère de quatre petits enfants, américaine de naissance mais française de choix depuis longtemps, politologue et radicale dans un parcours intellectuel voué à combattre l'injustice, Susan George (photo) s'est en quelque sorte révélée à elle-même depuis la mondialisation. Elle est un des personnages les plus en vue de l'altermondialisme.

Les tensions qui sous-tendent son parcours entre radicalisme et non violence, entre jeune et ancienne contestation, entre pragmatisme anglo-saxon et collaboration de classe en font une des figures les plus intéressantes de cette nébuleuse. Vice-présidente d'Attac France elle participe cette semaine aux forums de réflexion en marge du sommet d'Evian et en particulier ce vendredi 30 mai, à 9 h 15 à la Maison du Faubourg, Genève.

Susan George ne refuse jamais l'engagement. Elle est présente dans toutes les enceintes où se produit la réflexion critique radicale sur la marche du monde. Elle dirige l'Observatoire de la mondialisation à Amsterdam. Sur le front éditorial elle a produit une oeuvre considérable. Elle se montre égale d'humeur, sereine et critique à la fois, partout où ces dernières années la violence de rue s'est produite dans sa double signification de promotion de l'antimondialisation à l'agenda international, et d'atteinte commise contre les biens, les personnes et la confiance qu'une société entretient dans ses propres repères et valeurs.

Témoignant sur Göteborg en 2001, elle condamne les violences commises parce qu'elles font le jeu de l'adversaire, entretiennent une culture vénéneuse, brisent les engagements pris (et toute confiance démocratique ). "On insulte dit-elle ceux qui refusent et condamnent la violence en les traitant de réformistes, mais l'opposition réforme-révolution n'a aucun sens dans le contexte actuel. Ce n'est pas révolutionnaire de diviser le mouvement social et d'aliéner les alliés potentiels, ce n'est pas révolutionnaire de susciter de la sympathie pour nos adversaires et de s'opposer à toutes les mesures partielles comme la Taxe Tobin en attendant le Grand Soir. C'est idiot et contre-productif".

Lors d'un colloque en 2000 sur la mondialisation à l'Université de Lausanne, elle rentrait du premier forum de Porto Alegre. Portée par l'élan qui s'y était manifesté, elle affirmait que l'ennemi mondialiste était impressionnant mais que désormais une résistance digne de ce nom s'était constituée face à lui. Charmante, polyglotte, la personne et la parole sont élégantes, pleine d'esprit et de courtoisie. Un peu comme chez Mary Robinson on ne découvre qu'en la lisant ou en l'écoutant la résolution fort trempée de la militante sous l'air BCBG. Certains la disent snob ou la surnomment Laser pour le tranchant de ses formules (son côté français).

Sa civilité impressionne. Non pas que l'on s'attende à lui trouver le couteau entre les dents, ni même le côté explosif qui fut celui des contestataires de 1968, mais il y a chez elle une vraie culture intellectuelle de l'argumentation, de la controverse, voire du jeu des idées en tant qu'il est constitutif du sérieux démocratique. Dans toutes les langues elle est sensible aux mots, comme Fabrizio Sabelli (anthropologue italien dans plusieurs Universités suisses) avec lequel elle écrivit deux livres. Elle exerce le débat avec une maîtrise rare chez les militantes femmes: voix posée, aplomb et self control, l'humour qui commence par l'autodérision et l'écoute véritable.

Elle affectionne la formule du "sadomonétarisme" (due à l'Anglais Denis Healey) où elle voit la trace d'un dogmatisme appliqué aux pays pauvres à tout prix, aux dépens de leur population. De la dette à la faim, en passant par les multinationales et les organisations internationales à sigle (FMI, OMC) Susan George a construit avant l'heure l'agenda de l'altermondialisme et la figure de l'adversaire. Elle est convaincue qu'il faut revenir à l'économiste Maynard Keynes et que l'on fait fausse route depuis la Seconde Guerre mondiale en déchaînant les forces du marché comme les multinationales qui en fin de cause oeuvrent contre le capitalisme. Il faut donc du contrôle politique, de l'Etat providence contre la privatisation et de l'initiative économique afin de proposer un plan de sauvetage pour le Sud du monde.

Sur la guerre, celle des Etats, elle a écrit une des plus virulentes polémiques de ces dernières années (Le rapport Lugano Edition Fayard, Paris). S'imaginant élaborer un rapport pour le compte des "maîtres du monde" sur "Comment sauver le capitalisme", elle estime que le conflit serait au coeur de toute stratégie proposée. Elle écrit que la guerre contribue à réguler la population, notamment dans les pays du sud car en dessus de 8 milliards d'humains le capitalisme n'a plus d'avenir. L'imagination est ici d'autant plus accusatrice qu'elle se fait métaphore plus que fiction pure.

SUSAN GEORGE est née aux Etats-unis, vit depuis longtemps en France et a acquis la nationalité française en 1994. Auteur et co-auteur de plusieurs livres, elle est Directeur associé du Transnational Institute (Amsterdam), un institut de recherche décentralisé dont les membres se consacrent à l'étude des rapports Nord-Sud et sont engagés dans la société civile et la vie associative de leurs pays respectifs. Elle est également vice-présidente de l'Association pour une Taxation des Transactions financières pour l'Aide aux Citoyens].

De la dette à la faim, en passant par les multinationales et les organisations internationales à sigle (FMI, OMC) Susan George a construit avant l'heure l'agenda de l'altermondialisme.


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